Richement doté de dons, reversés à Force républicaine, disposant de plus de huit millions d'euros (commission de la Poste déduite) issus de la primaire de la droite et du centre, le candidat Fillon peut multiplier les rassemblements et déplacements. Sauf que diverses villes dirigées par "ses" régaliens (LR) ne semblent guère enthousiastes à l'idée de l'accueillir. Qu'importe, il pourra continuer sa route.
Sur quels thèmes ? Victimisation encore et encore ? Ou le risque de voir une forte partie de son électorat opter pour Marine Le Pen ? Cela révèle deux choses : l'opinion que se forme le candidat de ses électeurs, la compatibilité accrue de Marine Le Pen avec la droite dure qu'incarne François Fillon. Cela devrait au moins ouvrir les yeux des gens de centre-droit ou de centre-gauche : Marine Le Pen est en quelque sorte adoubée droite sans nuance par François Fillon. Et bien sûr, en plein Penelopegate, difficile de lui reprocher les démêlés judiciaires du FN.
Crise de régime
Alors qu'il reste clamé qu'Alain Juppé fut soutenu par une partie de l'électorat de gauche, il n'est jamais relevé que tant cet électorat que celui du Front National aient pu voir en François Fillon le candidat le moins à même de détourner des voix de centre-gauche et du FN. Cet apport ne lui fut sans doute ni nécessaire, ni encore moins indispensable pour l'emporter.
La prime au personnage qui a presque tout réussi en politique depuis l'âge de 22 ans (avec une interruption de trois mois de classes lors d'un service militaire effectué au Bourget dans l'arme de l'air, puis un retour au cabinet du ministre des Transports, en uniforme ou en civil), vraiment expérimenté (c'est un bûcheur, Penelope Fillon lui mâchait certes le travail à la commission de la Défense, à Matignon, mais ne lui dénions pas de réelles compétences), a sans doute aussi joué. Surtout, toute sa campagne fut fondée sur l'honnêteté, le sérieux, le respect des traditions. Pourtant, le voici évoquant une éventuelle crise de régime. Qu'on se rassure, son électorat n'ira pas frayer avec le "populo" des rencontres du Front national, à lever des gobelets de bière en dévorant des merguez.
Mais finalement, il offre une aura de respectabilité bon-chic, bon-genre, bécébeige, à la truculente Marine Le Pen. Qui a embrayé : son clip de campagne la montre montant à cheval, barrant un voilier qu'une forte majorité de son électorat ne pourrait même louer, en hélicoptère (un peu quand même, très furtivement, au zinc d'un rade de quartier). Par ailleurs, "Farid" Fillon, comme le surnomment les islamophobes frénétiques, a su déjouer le piège de sa visite à la Grande Mosquée de La Réunion. Ce en rétorquant à un imam vantant "la mosaïque" créole que si la religion "est exemplaire à la Réunion [elle] ne l'est pas forcément sur tout le territoire national". L'argument a déjà servi après l'attentat de la Grande Mosquée de Québec, sur le style, "ma pauvre dame, si vos musulmans sont convenables au Canada, venez donc voir en France, vous comprendrez mieux" (lu maintes fois sous cette forme ou, hélas, d'autres).
Fillon ferait-il du Sarkozy sans la verve de son ex-adversaire ? Au moins sur les questions d'identité et de montée d'un islam rigoriste parmi les fidèles musulmans ? Ne lui faisons pas ce mauvais procès, le Penelopegate suffit à sa peine. Reste que François Fillon est parfait pour s'adresser à des cénacles restreints ou à ses bons électeurs saboliens, mais qu'il peine à galvaniser les masses indistinctes. Brandir la menace d'une "crise de régime" en cas de retrait passe au-dessus des têtes de beaucoup. Les partisans du Plan B commencent à utiliser cet argument, il se réuniront ce lundi soir, et discuteront de l'obstination d'un candidat qui peut favoriser le FN.