La guerre des civilisations serait proche, d'après les pessimistes. Certains annoncent même qu'elle a déjà commencé. Pour analyser la situation actuelle et éviter une guerre des cultes, on peut s'interroger sur les origines de la tolérance religieuse, de l'idée selon laquelle c’est à chacun de choisir la croyance qui le conduira au salut. Il faut savoir que l’idée de tolérance a d'abord été un paradoxe.

A l'origine, il y a eu une grande difficulté à concevoir l’idée de tolérance. La tolérance a été une réponse au problème posé par les guerres de religion, mais ce n’était pas la seule réponse possible, ni la plus évidente. Quelles ont donc été les solutions tentées pour mettre fin aux guerres de religion ?

La solution par l’Eglise

Puisque les guerres de religion sont des guerres de dogmes, la façon la plus simple de résoudre le problème, a-t-on cru, c’est de mettre d’accord les théologiens. Il y a donc eu des colloques de théologiens où on a tenté de parvenir à un compromis doctrinal. Le fait est que cette tentative a échoué.

Montesquieu écrit en 1753 dans Mémoire sur la Constitution : « On peut aisément se convaincre qu'il est impossible que la paix vienne de la part d’un consentement mutuel de théologiens », puisque cela faisait 40 ans qu'ils n’arrivaient pas à s'entendre. Voltaire, dans un apologue de 1763 tiré du Traité sur la tolérance, va plus loin : puisque la solution ne peut venir des théologiens, elle doit venir du pouvoir politique.

La solution par l’Etat

Puisque la sol ne peut venir de l’Eglise, elle doit venir de l’Etat, pensait Voltaire. Le pouvoir temporel a espéré pouvoir acquérir ainsi une légitimité et un pouvoir nouveaux en parvenant à régler le problème que l’Eglise n’avait pas résolu. Hobbes a donné à cette solution sa formulation la plus rigoureuse.

Pour Hobbes, pour mettre fin aux guerres de religion, il faut légiférer et faire appliquer la loi par la force et subordonner le pouvoir spirituel au pouvoir temporel. Ce serait au souverain d'imposer une seule et même religion à tous les sujets par la loi.

La paix dans la diversité des opinions

Mais cette deuxième solution a été un échec. Au fond, la solution par l’Etat n'est pas différente de la première solution, car elles reposent sur la même idée, à savoir que la paix exige comme condition nécessaire une orthodoxie, une croyance commune et que donc, pour avoir la paix, il faut imposer une seule croyance et contraindre les individus à adhérer à une même religion. C’est la vieille idée que paix, unité et vérité sont indissociables.

Là où il y a des opinions, il y a du conflit et donc, disait déjà Epictète, pour parvenir à la paix, il faut dépasser les opinions et parvenir à la vérité (voir le chapitre 11 du livre II des Entretiens). Les théologiens, quand ils se sont réunis, continuaient de penser : pour avoir la paix, il faut que nous trouvions une position commune. C’est seulement en considérant cette idée traditionnelle de la paix qu'on peut comprendre pourquoi l’idée de tolérance a été difficile à penser. Pour défendre cette idée, il fallait définir autrement le concept de paix, couper la paix de l’unité et de la vérité. Les partisans de la tolérance ont fait éclaté la thèse traditionnelle et ont expliqué que, pour avoir la paix, il fallait renoncer à l’unité des croyances et aussi à la vérité, au profit de la multiplicité et des opinions.

Les partisans de la tolérance ont affirmé, non seulement qu’il était pas nécessaire d’être d’accord pour vivre en paix, mais qu'il était même nécessaire de renoncer au consensus en général et, en particulier, sur ce qui importe le plus aux hommes : la question du salut.

Paix civile et religion

C'est en défendant l'idée paradoxale que la paix ne repose pas sur une vérité commune que la solution par la tolérance s'est imposée. Ce paradoxe s'est accompagné d'une autre paradoxe qui en dérivait et qui a hanté tout le dix-huitième siècle. Bayle a montré dans ses Pensées diverses sur la comète (1682) que, si la paix civile est dissociable de l'orthodoxie religieuse, nous pouvons dire que la religion est inutile à la paix sociale et qu'une société d'athées est concevable. Proposition ahurissante à l'époque !

Telle est donc la leçon de l'histoire. Pour éviter la guerre des civilisations qu'on nous annonce, il faut se rappeler que la paix réside dans la diversité et que le lien social n'a pas besoin de la religion, laquelle doit relever de la sphère privée et du choix individuel.