La douleur est-elle utile ? une telle question se pose puisque, si la douleur désigne une impression physique pénible, on voit mal comment celle-ci pourrait être profitable. La douleur, par son caractère toujours éprouvant, nous incline spontanément à vouloir nous en défaire. Comment pourrions-nous alors chercher à l’instrumentaliser ? Toutefois, le paradoxe n’est peut-être ici qu'apparent puisqu'il semble que certaines sensations douloureuses, en nous renseignant sur la présence d’un objet nuisible, se montrent utiles en ce qu'elles concourent à notre conservation.

De plus, dans certaines perspectives philosophiques et religieuses, affronter, supporter la douleur, ou même y séjourner, peut constituer un moyen d’affirmation et d’élévation spirituelle. Cela dit, il existe aussi des douleurs dont l’intensité est telle qu'elles peuvent entraîner directement la mort. Loin d’être profitables, ces douleurs ne sont-elles pas totalement irrationnelles… Le problème se précise donc de la manière suivante : comment concevoir une utilité de la douleur, comme contribuant à la conservation ou même à l’élévation de notre être, tout en reconnaissant son caractère irréductiblement négatif ? L’enjeu de cette question, c'est l’idée qu'on se fait de l’existence et de la manière de la conduire.

Fonctions de la douleur

Une légère brûlure corporelle provoque en moi une impression désagréable. L’expérience directe de la douleur nous apprend qu'elle tend à me tenir éloigné de la source de chaleur, à préserver mon corps d’une altération plus importante. La douleur se donne comme un « signal d’alarme » servant à la préservation de la santé.

Pour le stoïcisme, l'utilité humaine de la douleur consiste à élever la marque même de l’humain : l’esprit. Elle serait une épreuve, dans une situation où il faut faire preuve de vertu. En ns obligeant à faire preuve de vertu, elle contribue à élever l’âme. Enfin, dans une perspective chrétienne, la douleur est le moyen de réaliser une nouvelle élévation, celle de l’âme vers son créateur.

La douleur est en effet manifestation en l’homme du péché originel et, de ce fait, elle l’incite à la conversion, donc à se rapprocher du divin.

Douleur morale

La douleur peut donc se dire utile en plusieurs sens. Une telle position se révèle néanmoins paradoxale. Elle suggère en effet que quelque chose d’aussi négatif soit utile. En outre, jusqu'ici, nous n’avons considéré la douleur que comme physique. N’est-elle pas aussi d’ordre psychologique ? Face au décès d’un proche, ce n’est pas l’excitation d’un réceptif sensitif qui cause la douleur. On peut alors admettre l’existence d’une douleur d'origine psychique. Une distinction s’impose entre la douleur physique et la souffrance. En effet, la souffrance englobe à la fois la douleur physique mais aussi celle qui n’est pas suscitée par une excitation sensorielle et qui est d’ordre psychique.

Or, la souffrance morale, rien ne peut la supprimer. La souffrance que cause la disparition d’un être cher, même si j’en donne les causes (ses circonstances), elle dure. Cette souffrance que l’explication rationnelle ne supprime pas, on ne peut que la subir. Or, en acceptant ainsi la souffrance, j’accepte mon propre amoindrissement puisque la souffrance, loin de m’augmenter ou me conserver, me diminue. D’ailleurs, elle peut conduire à la mort (cf. la douleur syncopale). Ainsi comprise comme pure négativité qui, la souffrance ne semble pas profiter à mon être.

Un paradoxe apparent

On est donc devant un paradoxe : d’un côté, il faut concevoir une utilité de la douleur et, de l’autre, il faut penser son irréductible négativité qui, semble-t-il, exclut toute possibilité de concevoir une utilité de celle-ci.

Mais, si on pense le plaisir comme cessation de la douleur et donc la douleur comme condition du plaisir, on peut la concevoir comme à la fois utile et négative. Cette approche de la douleur comme condition du plaisir rencontre cependant certaines limites. Il est des plaisirs qui ne supposent pas de douleur préalable, comme lorsqu'on entend une belle musique. Et il y a des souffrances qui ne sont suivies d’aucun plaisir.

En conclusion

La douleur, dans l’expérience sensorielle de celle-ci, jusque dans sa compréhension chrétienne comme don ou son interprétation stoïcienne comme épreuve, s’est montrée utile. Mais, il est aussi nécessaire de reconnaître le caractère irréductiblement négatif de la souffrance.

La douleur nous révèle cependant la nécessité de lui opposer systématiquement son contraire, le plaisir, pour nous tenir, autant que faire se peut, en joie. Mais, il n’en demeure pas moins que cette gestion-là de la douleur peut se montrer impuissante devant certaines souffrances. Elle doit sans doute alors s’accompagner d’un « geste » médical.