Faouzi Belkecir, 51 ans, habite Rouen depuis son enfance. Intéressé par l'écologie depuis tout jeune, il pointe du doigt le manque d'actions du gouvernement et de réglementations au sein des usines chimiques de Rouen. Riverain d'un bassin industriel et d'une zone vulnérable, il est victime, comme toute la population de Rouen, des retombées nocives de l'incendie de l'usine SEVESO Lubrizol. Après avoir décidé de militer sur les réseaux sociaux, un lieu où les informations sont davantage accessibles, il a rapidement rejoint le collectif Lubrizol, réclamant plus de transparence du gouvernement.

Il a aussi porté plainte individuellement contre l'usine et a décidé de prendre rendez-vous le 24 octobre au médecin légiste. Il se rendra prochainement à une manifestation des gilets jaunes pour faire valoir ses droits. Le bras de fer ne fait que commencer...

Une vision particulière de l'écologie

L'écologie, tu es tombé dedans depuis petit ou cela a été une révélation plus tardive ?

"J’ai été sensibilisé très tôt à l’écologie, il y a une quarantaine d’années. A cette époque, on parlait de réduire les déchet : en chauffant le plastique des bouteilles, on pouvait réduire leur superficie. Mon père réduisait principalement les bouteilles d’huile de cuisine. Il faut savoir que les consignes des bouteilles étaient répandues dans tous les magasins de France. On échangeait aussi les bouteilles en verre. C’était un processus durable et équitable. J’ai toujours été proche de la nature. Je faisais aussi les marchés avec ma famille : à Pont de l'Arche, Château Blanc, Petit Quevilly, Rouen, St Sever. On cueillait des mures, du muguet, de la rhubarbe à Quincampoix. On allait à la pèche aux moules à Dieppe, Trouville ou Deauville. Je dois beaucoup à Dieppe car des galets ont guéri mon dos à l’âge de 5 ans. À cette époque, on sentait déjà l’impact de l’industrie. Être proche de la nature était perçu parfois comme bizarre."

Comment s'est passé ton enfance ? Tu vivais déjà à Rouen ?

"Mon père est Algérien et ma mère est Française, normande, de Rouen.

Je suis né à Rouen. Ma mère connaissant les endroits forestiers de Rouen, je m'y rendais souvent. J’ai vécu jusqu’à mes 10 ans avec mes deux parents puis je suis allé à Paris. J'ai ensuite passé mon adolescence dans différents foyers (DDASS). Rouen est un bassin industriel, une cuve composée de zones calcaires (falaises) et d’une industrie minière auparavant très présente.

L’industrie chimique est aussi bien implantée sans oublier son port autonome crée après la destruction du Havre au cours de la seconde guerre mondiale. Il y a toujours eu des problèmes entre le port du Havre et le port de Rouen."

Tu as un handicap physique et tu vis pas loin d'une clinique ?

"Après deux accidents, mon dernier datant de 2011, je suis devenu une personne à mobilité réduite. J'habite à côté de la clinique Mathilde à Rouen."

Tu m'as parlé d’une étape importante dans ta vie. Tu es allé dans un Skylab ? Qu'est-ce que c'est exactement ?

"C’est une station spatiale, un laboratoire dans l'espace géostationnaire dédié à l’étude du comportement humain dans l'espace en milieu confiné. Un souvenir qui restera gravé en moi : à mes 17 ans, j’ai testé un module de rentrée dans l’atmosphère pour revenir sur terre. Une fois que tu es dans la station, tu es en orbite et pour revenir dans l’atmosphère, sans dommages, tu utilises un module de rentrée dans l’atmosphère. Ce Skylab (assemblage de modules Apollo) a ensuite brûlé (en 1989)."

La création d'une source d'eau potable

Tu as aussi créé une source d’eau potable. Comment est-ce qu’on s’y prend pour faire ça ?

"J’ai créé cette source d'eau potable (Agua Limpia), sur l'ile de Tavolara, en Sardaigne. Elle a été mise au point avec l'évaporation d'eau de la mer Méditerranée. Sur cette ile, ca fait des années que les habitants se battent pour que le royaume de Tavolara soit reconnu. L'île étant raccordée à l'Italie, leur eau potable provient du continent. J'ai alors proposé de faire cette source pour que l'île d'une trentaine d'habitants soit autonome en matière d'approvisionnement en eau. Depuis que je suis allé à la DDASS de mes 10 à 18 ans, j’ai fait de nombreuses randonnées. C’était déjà un coin que je connaissais bien. Là-bas, il y'a beaucoup de soleil, je m'en suis servi pour provoquer l'évaporation. Ainsi, l’eau tombe goutte-à-goutte sur une pierre de calcaire, ce qui rend l'eau de mer potable. Pour mettre au point cette source, j'ai utilisé une machine-outil fournie par les habitants."

Quels sont tes vœux les plus chers en matière d'écologie ?

"Mon vœu principal concerne le volet nucléaire. Il s'agit de l'arrêt de l'uranium au profit des sels fondus de thorium. Contrairement à l'uranium, le thorium se trouve partout sur terre et pourrait nous épargner des guerres dues à l'uranium en Afrique. Les sels de thorium ont aussi un avantage énergétique : plusieurs barres d'uranium sont nécessaires alors qu'avec le sel de thorium, moins de barres d'uranium sont requises pour produire autant d'énergie. À l'air libre, les sels de thorium se solidifient et ne sont plus radioactifs contrairement à l'uranium. Je souhaiterai aussi l'arrêt du chimique à outrance : tout ce qui est pesticides et insecticides n'est pas nécessaire. Je suis contre le gasoil (carburant polluant) mais pas contre les moteurs diesel car ils peuvent fonctionner à l'huile d'arachide et au gaz. Pour diminuer la pollution, il faudrait mettre en place une prime à la conversion (tuning)."

Que penses-tu des extinctions de masse, du nucléaire et des usines chimiques, du continent de plastique, de toutes les formes de pollution ou de surconsommation ?

"Pour moi, qui dit extinction de masse des espèces, dit notre potentielle extinction. Notre planète a un grand pouvoir regénératif mais il faut l'aider. Je pense qu'il faut davantage réglementer. Le problème c'est que l'argent et le profit prime sur tout. On devrait baisser les prix de certaines énergies et donner plus d'informations aux personnes qui ne se posent parfois pas assez de questions sur leur environnement. Je prône aussi l'utilisation de l'hydrogène."

Combattre les problèmes

Agis-tu au quotidien pour combattre tous ses problèmes écologiques ?

"J'agis en évitant toutes sortes d'emballages et en limitant ma consommation quotidienne. J'achète local : des fruits et légumes frais et évite tout ce qui est nourriture industrielle. Je trie aussi mes déchets. D'ailleurs, il y a un vrai laisser aller en matière de tri avec la caisse des dépôts."

Puis il y a deux semaines je crois, a eu lieu l'explosion de Lubrizol. Comment as tu réagi ?

"Quand l'usine a pris feu, en pleine nuit, je n'ai rien entendu.

C'est un marchand ambulant qui m'a prévenu sachant que je suis à 1 km de l'usine, en ville. Quand j'ai vu les images de l'incendie, j'ai eu peur. Ça reste en mémoire. Je n'attends rien du gouvernement car pour moi ils mentent comme ils respirent."

En tant qu'habitant de Rouen étais tu au courant du manque d'entretien et des problèmes que subissait l'usine lubrizol (apparemment les ouvriers étaient au courant car ils ont témoigné en mentionnant que l'usine était déjà dans un sale état) ?

"En tant qu'ancien électricien, j’ai déjà travaillé dans plusieurs usines chimiques. Là bas, j’ai été sensibilisé à la sécurité. Ce n'est pas une surprise car je savais qu’au niveau du bassin normand, il y avait déjà du laisser-aller."

Selon toi, pourquoi le gouvernement a t'il mis autant de temps à réagir et à pris des initiatives une fois que le drame soit arrivé et pas avant par souci de prévention ?

"Ils ont récemment envoyé des gosses dans l’usine de Lubrizol. Ils n'étaient même pas protégés. Ça montre bien à quelle point rien n'est sécurisé. L'accident de Lubrizol à été éclipsé par la mort de Jacques Chirac. Le gouvernement n'a jamais rien fait donc ça ne change rien : aucune mesure n'a été prise ni avant ni après. Par manque d'informations, je me suis dirigé vers les réseaux sociaux. Le pire c'est qu'en 2013, l'usine avait déjà connu une fuite de Mercaptan. 3000 euros d'amendes ont été réclamés. Ça restait quand même moins grave que l'incendie : l'odeur, percevable jusqu'en Angleterre, à duré un ou deux jours."

Les conséquences ont été nombreuses: les principales sont l'odeur putride de gaz qui est entêtante et néfaste à long terme mais aussi les nausées, les maux de gorge etc. Est-ce selon toi un signe que c'est plus grave qu'il n'y paraît ?

"Oui, effectivement j'ai eu tous ces symptômes.

J'ai même eu de l'asthme, alors qu'avant, ce problème était stabilisé. J’avais un traitement de fond et je l’ai repris. Pour moi, ces symptômes sont un signe que le problème est grave. J’ai donc été porté plainte pour obtenir un accès aux soins (suivi médical). Là bas, j’ai rencontré une mère de famille malade qui souhaite partir de Rouen. Beaucoup de Rouennais ont des nausées, des étourdissements mais pas encore de grosses maladies, il me semble. Dans la région, ils font souvent des dégazages pour évacuer la pression en trop dans les machines. Il y a eu pas mal de problèmes étouffés à l'usine de Lubrizol mais pas que chez eux. L'incendie a entrainé le lendemain de l'incident, la fermeture d'une usine Seveso de Petit Quevilly."

Des revendications nombreuses

Du coup, pour exprimer tes revendications et celles de la communauté rouennaise, tu t'es inscrit à un collectif. Quelles sont ces motivations et ces projets sur le long terme ? Le collectif est-il capable d'aller jusqu'au procès contre l'usine ?

"Ce collectif Lubrizol regroupe tous les collectifs qui se sont créés au lendemain de la catastrophe technologique. Au niveau légal, le gouvernement aurait dû indemniser. Il a joué sur les mots. Depuis Lubrizol, les médias font le minimum syndical. J'ai porté plainte à mon niveau, individuellement, comme on me l'a conseillé car le collectif ne peut pas le faire collectivement. Je ne sais pas encore s'il y aura un procès. Des milliers de riverains ont déjà adhéré au collectif. C’est un premier pas. La police municipale m'a conseillé de contacter l'AVIPP, aide aux victimes et informations sur les problèmes pénaux, en lien avec la mairie. L'AVIPP pourra me conseiller sur les droits à faire valoir auprès de mon assureur, par exemple. L’ancienne ministre de l'environnement, Corinne Lepage, avec l’association Respire a fait nommer un expert indépendant pour effectuer des mesures de la toxicité des produits dispersés dans l'air. Une mesure à laquelle le gouvernement et les préfets se sont interposés. Heureusement, ils ont quand même réussi à procéder au contrôle."

Qu'en penses ton entourage ?

"Je connais des gens qui trouvaient que ça sentait mauvais mais qui n'étaient pas plus inquiets que ça."

Qu'as-tu ressenti en prenant connaissance de la liste des produits chimiques présents dans l'usine ?

"Pour moi ça sonnait faux. Ce qui est frappant c'est qu'à côté des produits chimiques utilisés par l'usine et mentionnés sur la liste, il y a des degrés Celsius. Quand la température augmente, le produit n’est plus stable. Ainsi, les cocktails chimiques se forment et se mélangent. Autre produit néfaste : la dioxine relâchée dans l’air. On est en droit de s'inquiéter quand on sait que le président ukrainien Victor Iouchtchenko s'est retrouvé complètement défiguré après une forte exposition à la dioxine (visage maculé de pustules, un taux de dioxine 1000 fois supérieur au seuil autorisé)."

As-tu eu du soutien pour ne pas tomber dans une forme d’ "éco-anxiété" ?

"J’essaie de communiquer au maximum et d’agir a mon niveau."

Quels sont tes futurs projets en matière d'écologie ?

"Je suis en train de construire une éolienne photovoltaïque avec des CD. Je donne aussi d’anciens sacs aux vendeurs ambulants. Un des vendeurs m'a d'ailleurs parlé des problèmes agricoles importants suite à l'incendie de Lubrizol. L'interdiction de vendre des produits agricoles sera prochainement levée. En mars 2020, j'ai appris qu'il y aura enfin un suivi médical proposé aux habitants de Rouen."