C'était le premier jour du festival Orbit au Guitoune Hammamet, boîte de nuit de Nabeul. L'un des plus gros clubs de toute la Tunisie. Aux platines, un Anglais, Dax J, qui mixe l'appel à la prière qui résonne au sommet de tous les minarets musulmans. Un truc qu'il avait déjà fait en Europe. Le problème n'est pas qu'il l'ait refait au Guitoune, mais que cela ait été répercuté sur les réseaux sociaux. D'un côté, l'opinion dite "occidentale" peut se réjouir. La jeunesse tunisienne a dansé sur sa musique. De l'autre, elle peut s'inquiéter : les mêmes qui ont dansé ainsi seront demain comme les bobos européens qui s'éclatent en perturbant le sommeil des riverains puis, devenus locataires ou propriétaires dans les mêmes quartiers festifs, portent plainte au commissariat pour tapage nocturne.

Parce que…

Blasphème

C'est un peu comme si, après le mariage religieux catholique, les participants de la noce entonnaient "avé, avé, avé le petit doigt", chanson paillarde bien connue, sur l'air de l'Ave Maria, et finissaient toutes et tous au poste de police. Le gouverneur de Nabeul, Mnaouar Ouertani, n'a pas eu le choix. Mixer l'appel à la prière mahométane, c'est une chose. Que cela se répande, une autre. Du coup, il a décidé la fermeture administrative d'El Guitoune. Car il s'agit d'un acte "portant atteinte au sacré et aux rites religieux", selon le ministère tunisien des Affaires religieuses. Ah bon ? Pas une incitation aux touristes étrangers pour se convertir à l'Islam ? C'est selon. En même temps, halte au feu, Dax J a dû se fendre d'excuses contrites.

Sincères ou pour repousser le spectre de subir le sort de Salman Rushdie, toujours cible de diverses fatwas, on ne sait. N'empêche, comment ne pas rapprocher ce fait dérisoire du refus de diverses salles de spectacle de laisser se produire le spectacle théâtral tiré du livre de Charb, de Charlie Hebdo, Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes.

Là, c'est en France que cela se produit. On en est là : un site, breizatao, peut glorifier un curé antisémite, et la fachosphère crie à la censure, alors qu'à la veille d'une élection présidentielle une candidate et un candidat pétris de bonnes intentions catholico-intégristes stigmatisent à la fois nos voisins et ne voient plus que la poutre dans leurs yeux.

Comprenez que nous en soyons quelque peu tourneboulés, décontenancés. Enfin, peut-être pas vous, mais moi. Partout, au Maghreb, ailleurs dans le monde musulman, c'est la chasse aux religio-réfractaires, mais on arrive au même dans la France du Petit Père Combes (pour les moins de 245 ans, c'était un bouffeur de curetons, pour résumer). Et on va jeter la pierre au gouverneur de Nabeul ? Nous marchons sur la tête, ou quoi ? A-t-il le choix ? Aurons-nous, demain, le choix ? Je plains très fort ce gouverneur de Nabeul. D'un côté, il serait fait pincer les doigts pour n'avoir pas assez sévi, de l'autre, on lui reprochera la baisse de fréquentation touristique d'Hammamet. De quoi sentir monter l'envie de tirer dans le tas.

Lequel ? Le leur, le nôtre ? Qui est "leur", qui est "nôtre", that's the question. Broyés. Marooned. C'était dans Animal Farm, de G. Orwell. Coincés, et voués à disparaître. Ou à se plier. Bon, au moins à se faire oublier. Se taire et se terrer. Cernés par Sens Commun, ou les Fillon-Le Pen, et les salafistes, complices, forcément complices ; car tirant les mêmes ficelles, jusqu'à l'étranglement, le garrotage et la suffocation.