Manger sain, équilibré... Quand l'envie de manger sain tourne à l'obsession
On ne connaît que trop bien les publicités qui nous incitent à bien manger : "manger cinq fruits et légumes par jour", "ne manger pas trop gras, trop sucré, trop salé". Face à ces recommandations, nous sommes nombreux à faire plus attention au contenu de notre assiette. On commence à scruter les étiquettes en quête d'aliments obscurs, à s'intéresser aux traitements des animaux... Une bonne chose a priori. Mais pour certains, manger sain peut virer à l'obsession, devenant alors un véritable trouble qui empoisonne l'existence.
Pour désigner ce trouble alimentaire qui touche aujourd'hui 13 millions de Français, les psychiatres parlent d'orthorexie. Encore difficile à définir, à quel moment la prise de conscience devient-elle un trouble obsessionnel ?
Un trouble nouveau
Le terme d'orthorexie vient du grec ortho (droit), et orexie (appétit), et traduit une obsession de consommer de la nourriture saine. Appartenant à la famille des troubles alimentaires, à l'instar de l'anorexie ou de la boulimie, l'orthorexie se distingue par sa focalisation sur la qualité, et non sur la quantité. Sous ce mot savant se cache un trouble réel. C'est le Dr Steven Bratman qui en a parlé pour la première fois en 1997, en vue de désigner ce trouble des conduites alimentaires jusque là sans nom.
D'après Bratman, la personne orthorexique est obsédée par son alimentation, et pousse à l'extrême l'idée d'une alimentation saine. Résultat, elle réduit progressivement tout ce qu'elle considère comme néfaste à sa santé. Matières grasses, sucre, sel, produits chimiques et autres substances potentiellement nuisibles. Autant de règles abstruses qui contraignent de plus en plus le rapport de la personne à son assiette.
Une nouvelle lubie, probablement en lien avec les tendances healthy, et leurs dérives.
Difficile pour les psychiatres de donner une définition stricte de ce trouble alimentaire, comme l'explique le Dr Gérard Apfeldorfer : "Se préoccuper de la qualité de ses aliments est tout à fait normal. Mais quand [...] ces préoccupations alimentaires prennent le dessus sur notre vie...
Dans ce cas, cela devient un véritable trouble que l'on peut assimiler à un trouble obsessif compulsif ou à une forme d'hypocondrie".
L'origine du trouble
Multiplication des documents chocs sur l'industrie agroalimentaire, injonctions des médias pour manger sainement... quand l'information crée l'obsession. Toutefois, au-delà des cas extrêmes, vouloir manger sain n'est qu'une réponse légitime face à l'industrie agroalimentaire qui nous impose chaque jour des produits chimiques à notre tablée, bien souvent au détriment de notre santé. Une prise de conscience avant d'être un trouble donc.
Un isolement progressif
Le Dr Bratman affirme que l'orthorexie peut atteindre un niveau tel que l'individu souffre de malnutrition et/ou d'isolement social.
Ces personnes en effet, s'éloignent progressivement de leur entourage qui continuent d'avoir une alimentation "malsaine". Adieu les restos entre amis, les repas de famille du dimanche... Quand manger sain ne l'est plus.
Suis-je orthorexique docteur ?
Le Dr Bratman a crée un test, regroupant dix questions afin de connaître son degré d'obsession face à une alimentation saine. "Passez-vous plus de trois heures par jour à penser à votre régime alimentaire ?", "Planifiez-vous vos repas plusieurs jours à l'avance ?". Autant de questions supposées évaluer votre rapport au trouble.
Cette nouvelle étiquette fait néanmoins bondir certains. En quoi la quête d'une alimentation saine serait-elle symbole de névrose ?
D'après le Dr Apfeldorfer, les orthorexiques pensent que leur comportement est correct, justifié, et ne voient donc pas leur trouble. Pour eux, ce sont les autres qui sont fous de "manger n'importe quoi".
Il est important de remarquer que la psychiatrie moderne n'a cessé d'inventer de nouvelles pathologies, en vue de cataloguer les comportements "déviants", qui iraient à l'encontre de la société contemporaine. Or, force est de constater que dans notre société de consommation, voire de surconsommation, où la junk-food est omniprésente, montrer l'envie de manger sainement et s'éloigner des habitudes alimentaires de l'époque intrigue les spécialistes. Aussi l'orthorexie est rentré dans ce vaste catalogue des maladies mentales.
Mais n'oubliez pas, comme le disait notre cher Molière ; "Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger".