Si le secteur public fait défaut selon lui, l’échappatoire viendra-t-elle du privé ? Les lanceurs d’alerte ne sont pas toujours les hérauts du domaine de la politique, de l’environnement ou de l’économie, dénonçant au péril parfois de leur vie, des pratiques cachées ou inconnues du grand public. Ils s’intéressent également à la culture, comme le comédien Robin Renucci (Un village français), actuellement directeur des Tréteaux de France et représentant l’ACDN, l’Association des Centres Dramatiques Nationaux, qui réunit pas moins de 38 centres nationaux.
Le comédien a signé le 8 août dernier, avec huit autres directeurs de théâtre, une tribune dans le journal Le Monde, faisant suite à d’autres mouvements et indignations, tels que le constat désabusé d’Olivier Py, l’actuel directeur du festival In d’Avignon ou l’Appel de Montreuil, une pétition pour les arts et la culture qui vise à garantir la liberté de création. Mise en cause ? La politique culturelle actuelle de la présidence Macron.
Une tribune qui dénonce
Pourtant, alors candidat, Emmanuel Macron se distinguait de ses concurrents en mettant l’accent sur la culture, présentée comme l’un de ses chantiers principaux s’il était élu, en faisant l’article d’un futur Pass Culture. Un pass pourtant décrié par Robin Renucci et Joris Mathieu (directeur du Théâtre Nouvelle Génération) : « l’État en a fait le fer de lance de sa politique culturelle, alors que c'est une idée de pur marketing dont ni le contenu, ni le financement n'ont été pensés en amont.
Derrière le Pass Culture, nous voyons surtout les effets pervers d'une promesse de campagne ». Une promesse qui coûtera tout de même la bagatelle de 400 millions d’euros, sur un budget annuel de 44,4 milliards d’euros dédié à la Culture. « Il nous aurait semblé bien plus pertinent d'investir cet éventuel budget du « Pass Culture » dans des actions de proximité, menés par les acteurs culturels en régions », ajoutent Renucci et Mathieu.
Pire, avec cette mesure de « culture pour tous », on passerait, selon à eux, à un système de culture individuel, sans partage. Mais le Pass Culture n’est pas le seul sujet porté à grief. S’ils soutiennent l’actuelle ministre de la Culture, Françoise Nyssen, ils déplorent que les différents ministères, pourtant appelée par elle en ce sens, ne travaillent pas ensemble pour développer une véritable politique publique dans le domaine des arts.
Pire encore, le Gouvernement réduirait le champ d’action de son ministère de la Culture, gelant les emplois ou externalisant certaines missions. «Affaibli délibérément, le ministère de la Culture semble être voué à jouer un rôle secondaire. (…) Un danger que représente cette politique gouvernementale pour notre société », ajoutent-ils dans leur tribune.
Un processus qui risque de s’accélérer encore avec la réforme de l’organisation territoriale de l’Etat, le « Chantier Action Publique 2022 » : économie de fonctionnement, fusion des régions qui pointe du doigt les sous-effectifs des différentes DRAC (Directions Régionales des Affaires Culturelles), prépondérance de Paris en termes de culture sur le reste du pays...
« Le président et son premier ministre pilotent un projet de démantèlement de l’administration du ministère de la Culture, siphonnent ses moyens et le vident de son sens ». Ainsi, plus qu’une préservation de la création, c’est le souhait d’un chantier interministériel qui est émis pour penser l’art et la culture comme des projets de cohésion sociale et éducative, pour contribuer à transformer la société. Le bien commun avant le bien individuel, comme le souhaitait Jack Lang, alors ministre de la Culture sous Mitterrand.
Quand le privé s’en mêle
En attendant que l’Etat apporte des éléments de réponses à cette tribune et ses souhaits, le privé est peut-être l’une des clés pour venir en aide au monde de la culture en général et à celui du spectacle vivant en particulier.
C’est le cas du CNV (Centre National de la Chanson, des Variétés et du Jazz) qui crée de nouvelles aides (pour les entreprises du spectacle vivant en développement, les diffuseurs) et qui se met à la page d’un secteur en constante évolution, que ce soit au niveau des structures sociales, de l’organisation du travail, ou des formes de rémunération. Il perçoit la taxe fiscale sur les spectacles, reversée par le biais de différents programmes de soutien aux entreprises de spectacle de musique, de petite et moyenne taille que le CNV accompagne et tâche d’apporter des réponses adaptées à leurs problématiques. « C’est un enjeu pour nous de les aider, au même titre que les régions, les départements ou l’Etat », précise Philippe Nicolas, directeur du CNV.
Même son de cloche chez Audiens, le groupe de protection sociale des professionnels de la culture et de la création. « Notre but chez Audiens, est de veiller à ce que l’intérêt général du monde du spectacle soit pris en compte et gouverné par de vrais professionnels et non des intermédiaires », rappelle Patrick Bézier, directeur général du groupe.
« Des intermittents peuvent avoir jusqu’à 13 employeurs par an, aussi, nous mutualisons le coût du travail, piloté par des partenaires sociaux, pour une protection sociale meilleure, dans un cadre économiquement équilibré », poursuit-il. Et le numérique, apparu récemment dans l’organisation du travail, est une aide précieuse, comme le logiciel Movin Motion d’administration de production, développé par Audiens et qui simplifie la gestion administrative des intermittents.
« Notre société n'a pas tant besoin de spectacles que de mouvement et de présence artistique. Elle a besoin d'être stimulée par la création contemporaine en particulier, celle qui est le reflet du monde d'aujourd'hui, qui affronte les problématiques de notre siècle », conclut Robin Renucci. Sera-t-il entendu ou le Gouvernement se dérobera-t-il au profit de ces solutions privées alternatives ?