Après la lourde défaite du Real Madrid mercredi soir contre PSG (3-0), Zinedine Zidane, l'entraîneur du Real, a reconnu en conférence la nette supériorité du club parisien : « Ils nous ont dépassés en tout », a-t-il asséné sèchement. Zizou est coutumier de ces ruptures de ton, de ces brusques embardées qui le font passer pour ce qu’il n’est pas. Il est timide, certes. Et gentil. Et respectueux d’autrui. Quand il marche dans les rues, il salue qui le salue. Seulement, quand il dit non, c’est non. Sauf qu’il l’exprime à sa manière, toujours aimable, courtoise, attentionnée.

Pour autant, elle n’en est pas moins définitive. Pourquoi se tait-il si souvent ? « Beaucoup croient que je n’ai rien à dire…»

L'enfance

Nul ne peut avoir connu la vie d’enfant qui fut la sienne, avoir suivi un destin semblable, être le plus grand stratège du monde sur un terrain de football… et n’avoir rien à dire. Son silence est un choix. Il est le gage de sa liberté. La première exigence de Zinédine Zidane, c’est de n’être récupéré par rien ni personne. Que nul ne puisse utiliser un propos, une attitude, un point de vue, une déclaration. Ainsi, rien de ce qu’il dira ne sera déformé. Ainsi ne pourra-t-on lui attribuer d’autre rôle que celui pour lequel il est fait depuis toujours. Ainsi, enfin, restera-t-il à la place qu’il a choisie et qu’il sait si bien défendre.

« Aujourd’hui, dès que j’ouvre la bouche, ce que je dis est multiplié par dix », a-t-il déclaré. « Je ne le supporte pas. Et quand on me fait raconter des choses que je n’ai jamais dites, ou qui sont le contraire de ce que j’ai exprimé, ça me met hors de moi… Dans ces conditions-là, mieux vaut se taire. » Il subit aussi les conséquences de ce silence.

Les Guignols ne l’ont pas loupé.

Le football de rue

Mais Zizou restera à jamais cet incomparable technicien, ce maître du ballon rond. A nouveau, son enfance explique tout. Il avait toujours un ballon dans les pieds ! Le football de rue, celui qu'il préfère, l'a façonné, génial et inventif. Sur les trottoirs de Marseille, il prenait le ballon et inventait des gestes avec son frère Nordine, comme ce geste inspiré du « râteau ».

Vous faites un râteau normal, vous le poursuivez sur la deuxième jambe et vous finissez par un petit pont. Le ballon passe de la jambe gauche à la jambe droite. Vous tendez celle-ci vers l’extérieur et vous feintez en envoyant la balle entre les jambes de l’adversaire. C'est ça, le football de rue, tous ces gestes impossibles inventés avec des potes pour surprendre quand on est gamin.

La formation

Le gamin des quartiers nord de Marseille ne s’imagine alors pas que, quinze ans plus tard, il vivra cet extraordinaire événement qui sera sans doute le plus grand moment de sa vie de footballeur : la finale d’une Coupe du monde. Contre le Brésil, tenant du titre. La rencontre qui le consacrera aux yeux de toute la France comme un héros national.

Car, après les rêves de gamin, il y a eu l'apprentissage professionnel. Zidane se révèle être un travailleur acharné. Il donne à lui-même pour mieux se donner à l’équipe, plus tard. Pendant la préparation d'avant-saison, il subit un entraînement intensif. Il en bave. Il souffre épouvantablement. Mais c’est le prix à payer. Comme une dette. Il paye. Il ne bronche pas. Il sait que cette épreuve se révélera peut-être inutile. Il y va. Il travaille, il force, il sue sang et eau, il s’épuise, il recommence. Encore et encore.

Individualiste et collectif

Cette force de travail lui vient peut-être de son humilité et de son sens du collectif. Zizou, il est là pour offrir des occasions aux autres. On ne joue pas une Coupe du monde pour soi.

C’est toujours pour une équipe, et aussi pour une nation… On n’est pas seul. On joue à onze. Zizou se noye dans le groupe. Décisif, très influent dans le jeu, il se métamorphose sitôt qu’il a quitté le terrain, se fondant alors dans cette discrétion qui lui est si naturelle. Il n’est pas comme Didier Deschamps, capitaine dans l’âme, meneur d’hommes, passant dans les chambres, parlant avec ses gars, les défendant auprès des autorités. Zidane, lui, est plutôt individuel. Il se prépare seul. Sa personnalité, conquérante quand il a un ballon au pied, change de nature dès qu’il s’est débarrassé de ses crampons. Alors, il ne se soucie plus d’avoir une influence quelconque sur les autres. Sa famille, oui. Quelques copains, certainement. Mais pas tous les joueurs.