Difficile, après des résultats du premier tour des élections présidentielles si proches des projections des sondages, d'évoquer de "vrais sondages" ou un "vote caché". Le camp Fillon voulait y croire très fort. Cette fois, ce n'est pas du Front National ou de sa nébuleuse pro-Marine Le Pen qu'émane la perspective d'une victoire de la candidate, mais d'un chercheur du Cevipof, le centre de recherches de Sciences politiques. Serge Galam, qui a exposé son hypothèse dans L'Express, n'est pas un professeur Cosinus : tout comme un scientifique américain respecté, il a "prédit" l'élection de Donald Trump.
Il a aussi perçu la défaite d'Alain Juppé à la primaire. Son estimation, fondée sur l'abstention différenciée, part de l'hypothèse que la moyenne des sondages reflète bien les intentions de vote à J-1. Mais au jour J, le 7 mai, presque tout l'électorat de Marine Le Pen se rend aux urnes, tandis qu'une fraction significative de celui d'Emmanuel Macron s'abstient. Soit parce qu'il est donné gagnant d'avance, et qu'on peut donc se dispenser d'interrompre une belle soirée au jardin d'une résidence secondaire. Soit parce que surgit l'attrait du "non-vote caché". Emmanuel Macron devrait son élection à un électorat peu convaincu par son charisme, la cohésion du mouvement En Marche, et réticent à adhérer à son programme.
La décision de s'abstenir serait alors impulsive, de dernière minute. Le véritable "non-vote caché", soit celui qui pousse à confier à son entourage ou aux sondeurs que, bien sûr, le Front républicain s'impose, ou que le FN reste un repoussoir, sans pour autant traduire ses dires en acte, même marginal, peut jouer aussi, plus faiblement.
Il faudrait que plus de 70 % des électeurs potentiels d'Emmanuel Macron confirment leurs intentions de vote pour le porter à l'Élysée. Si 5% font défaut ou se ravisent, s'abstiennent ou votent blanc ou nul, Marine Le Pen est élue avec 50,07% des suffrages. Sur le papier, c'est quasiment irréfutable.
Vote inutile et non-vote caché
L'abstention est prônée par diverses composantes dont certaines souhaitent, sans pouvoir le clamer, l'élection de Marine Le Pen. Le calcul est le suivant : leurs candidates et candidats aux législatives pourraient peser plus lourd (du fait du retrait de candidats LR ou autres) et conforter une majorité de cohabitation. Mais l'abstention inavouée, le vote prévu contre Marine Le Pen plus que pour Emmanuel Macron mais non suivi de concrétisation au moment de se rendre au bureau de vote ou même dans l'isoloir (votes blancs et nuls), pourraient suffire. Cette estimation, valide, ne vaut cependant que jusqu'à l'avant-veille du jour de l'élection. Une déclaration de trop de Marine Le Pen, un soutien plus que sulfureux trop voyant, une rumeur d'enrichissement personnel, un événement international d'ampleur, &c., peuvent changer la donne.
De plus, les instituts de sondage ne croient plus à la persistance d'un vote (ou non-vote) "honteux". Ils corrigent aussi leurs estimations en fonction de la fermeté des intentions exprimées (pour la ou le candidat, pour le vote blanc). Et plus le jour J approche, davantage les électorats opposés se solidifient. La moyenne des sondages donne ce jour 62% contre 38. Si Emmanuel Macron perdait quatre points profitant, non pas à l'abstention, mais à Marine Le Pen, l'hypothèse de l'influence de l'abstention différenciée (ou différée à l'échéance), pourrait se concrétiser. Mais après la victoire de Trump, Serge Galam déclarait dans Causeur : "j'ai eu du mal à croire à a prédiction du modèle que j'ai développé".
Et quand son modèle voyait Juppé battu, il ne pouvait déterminer si ce serait par Fillon ou Sarkozy. Enfin, tout comme les sondages, ce modèle peut influer sur le résultat : puisqu'il prévoit que Marine Le Pen a une certaine chance (et non une chance certaine) de l'emporter, qui pourrait s'abstenir en pensant que c'est plié d'avance et que son vote est superflu, sera porté à se raviser s'il penche pour un vote contre Marine Le Pen. Mais on peut frissonner en lisant la trilogie BD de Durpaire et Boudjella (Les Arènes) : Marine Le Pen nomme l'ex-dirigeant d'Occident et du GUD Premier ministre, puis se voit contrainte de passer la main à Marion Maréchal Le Pen. Pour Emmnuel Macron, il faudra alors attendre 2024 (si toutefois des élections seraient encore possible).
François Durpaire disait à l'époque, lors de la sortie du premier tome, que pour que cela n'arrive pas, il faudrait que l'électorat lise soigneusement le programme du Front national : "le FN a peur qu'on décortique leur programme pour montrer les incohérences". Ce n'est pas cela qui arrêtera Sens commun, Christine Boutin, et d'autres... Gérard Longuet, lui, a annoncé "dimanche 7 mai, je voterai Macron". Car la victoire du FN détruirait la construction européenne et aboutirait "à la ruine du pays". Une décision "prise sans joie mais sans ambiguïté". Car sans doute raisonnée et documentée. Dans le Grand Est, sauf en Alsace, Marine Le Pen est arrivée en tête du premier tour presque partout, hors grandes villes.