C'est un nouvel échec pour la CGT. Selon les estimations les plus optimistes (celles de la CGT elle-même), seules 300 000 personnes (120 000 selon le ministère de l'Intérieur) ont répondu à l'appel du syndicat le 19 avril. Trop peu pour faire peur au gouvernement, mais assez pour montrer l'impasse dans laquelle se trouve la CGT.

Alors que 44 % des Français approuvent la mobilisation des cheminots, la confédération syndicale ne semble plus en mesure de canaliser les mécontentements. Le « printemps social » qu'elle promet n'est pas à sa portée.

La situation était tout autre il y a à peine dix ans, comme le rappellent Sarah Belouezzane et Bertrand Bissuel dans Le Monde.

A l'époque, Nicolas Sarkozy avait fait de la CGT son « interlocutrice privilégiée ». Aujourd'hui, le syndicat a perdu la confiance des gouvernements, des conseillers de l'exécutif et ce qui est probablement le plus grave, de ses pairs. « Ils sont toujours contre tout, on finit par ne plus les écouter », déplore dans les pages du Monde un cadre de FO. « Ce qui est excessif est insignifiant », ajoute Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT.

Un avis largement partagé en dehors du syndicalisme. « [La CGT] fait feu de tout bois, dans une sorte de fuite en avant, synonyme de gauchissement qui tranche avec l'époque où Bernard Thibault était à la tête de la confédération », estime Raymond Soubie, président de la société de conseil Alixio et ex-conseiller de Nicolas Sarkozy.

Détournements de fonds

A gauche, on ne dit pas autre chose. « La CGT a un côté jusqu'au-boutiste, sautant sur tout ce qui bouge pour affirmer encore et toujours son opposition. Parfois, elle recueille de l'écho comme avec la loi El Khomri, parfois pas. Il semble que ce soit la manière qu'ait trouvé Philippe Martinez de maintenir une unité de façade au sein de son organisation », analyse un conseiller ayant officié sous le quinquennat de François Hollande.

Mais le « jusqu’au-boutisme » n'explique pas à lui seul le recul de la CGT. Une longue succession d'affaires a entamé le capital sympathie de l’organisation. La plus marquante reste celle de Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT sous le quinquennat Hollande, qui sera contraint à la démission par les révélations sur son train de vie.

La rénovation de son appartement de 120 mètres carrés avait coûté la bagatelle de 130 000 euros, tandis que la facture pour l'aménagement de son bureau s'élevait à 62 000 euros. Le tout payé par la centrale syndicale. Plus d'un an après sa démission (en janvier 2015), Thierry Lepaon était encore salarié de la confédération, à 4 200 euros net. « A fin mars [2016], la note s'élevait à 115 000 euros en salaire chargé hors treizième mois et 31 000 euros de location pour l'appartement qu'il a continué à occuper jusqu'en février », révélait Les Echos en avril 2016. « Au total, la CGT aura donc déboursé pour Thierry Lepaon, en dehors des salaires de son numéro un quand il était en poste, plus de 350 000 euros », ajoutait le quotidien économique.

Autre affaire qui aura progressivement grignoté l’influence du syndicat, les sorties de route répétées du SGLCE, syndicat unique dans l'impression des quotidiens nationaux. En 2010, la CGT du Livre use de tout son pouvoir pour éviter la parution de ces derniers - à l’exception de l’Humanité, seul quotidien fidèle à leurs idées. Elle le fera à nouveau en 2016 et menace même de le refaire en 2017, alors même que Presstalis est au fond du gouffre et qu’elle pourrait emporter toute une partie de la presse indépendante avec elle. Ce conflit, entretenu par un syndicat du livre aux méthodes douteuses, ne sera jamais dénoncé par son secrétaire général, Laurent Joseph, qui entretient pourtant des relations serrées avec la presse.

L’homme dirige en effet la mutuelle uMen de la presse et du spectacle qui assure la couverture santé du groupe Le Monde, avec l’aide de Jean-Michel Floret, un autre ancien secrétaire général du SGCLE. Un moyen de pression supplémentaire? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que les deux hommes ne sont pas des anges: le premier s’est en effet rapproché de Philippe Bonin, l’artisan du naufrage de la mutuelle des Landes, pour diriger uMen. Le second serait visé par une enquête de la justice roumaine, selon le média en ligne l’Oeil pour le Dire.

Intraitable car fragile

Des scandales qui nuisent à l’image du syndicalisme en général. En 2016, Rozenn Le Saint et Erwan Seznec publient Le Livre noir des syndicats, une enquête fouillée qui étalait au grand jour les mécanismes de détournement de fonds publics par le biais de subventions.

Selon les auteurs, le financement des organisations syndicales « est nimbé d'irrégularités, petites et grandes ». Et d'ajouter : « Ces appareils ont vécu ou vivent encore aux crochets de l’État, des collectivités, du 1 % logement et de la formation professionnelle. Ils ont monté des circuits de dérivation d'argent qu'on ne peut ni qualifier de légaux, car ils ne sont prévus par aucun texte, ni de franchement illégaux, puisque tous les gouvernements laissent faire ».

Une ambiguïté qui contraste avec le ton radical et direct adopté ces derniers temps par les cégétistes. Un peu comme s’il fallait se montrer d’autant plus intraitable qu’on est fragile.