L’assimilation est un principe qui interdit à tout groupe constitué sur des bases ethniques ou culturelles de se rassembler et de se retrancher du reste de la nation sur une partie du territoire ; d’y imposer ses propres lois. Historiquement, le pouvoir français – monarchique, impérial ou républicain – a réprimé tout « État dans l’État », quitte à courir le risque du despotisme. Emmanuel Todd en donne une raison séduisante : la France serait le seul pays d’Europe où auraient cohabité deux modèles familiaux, l'un endogamique (où l'on choisit son partenaire à l'intérieur du groupe (non seulement social — homogamie — mais aussi géographique, professionnel, religieux), et l'autre exogamique (où on cherche son conjoint à l'extérieur de son groupe).

Le modèle familial appliqué par les immigrés aujourd'hui

La loi sur le voile dans les écoles de 2004 a donné à certains l’idée que les parents musulmans accepteraient l’« exogamie » à la française. Cette loi aurait été le signe d'une révolte silencieuse de la part croissante des musulmanes, imprégnées de l’égalitarisme français, qui aurait érodé les traditions : environ 15 % des femmes maghrébines sont mariées avec un Français. L’« intégration » était en marche, disait-on.

Un autre chiffre vient cependant tempérer cette approche : la baisse relative de la natalité dans les familles immigrées fragilise plus encore le modèle endogamique déjà soumis aux pressions de la « modernité occidentale », comme le souligne Emmanuel Todd.

Pour sauver leur modèle familial dans un univers étranger, les familles musulmanes qui refusent de donner leurs filles à des « roumis », tendent donc à chercher des gendres au pays d'origine. Cette diminution de la natalité provient elle-même de la montée de l’instruction des filles, qui les pousse à prendre conscience d’elles-mêmes et de leurs droits.

La perspective d'Emmanuel Todd

E. Todd explique que cela n’est qu’une transition, et que l’islam rejoindra lui aussi le courant individualiste de la modernité ; mais le même Todd compare historiquement cette période de transition à la révolution de 1789 pour la France et à la République de Weimar pour l’Allemagne. Le démographe reste fidèle aux conclusions de son ouvrage Le Destin des immigrés.

Il y vantait la réussite de « l’universalisme individualiste français, hostile au groupe différent par les mœurs, mais incapable de percevoir l’individu de ce groupe comme réellement porteur de sa culture d’origine dès lors qu’il manifeste son désir d’entrer dans la société française ». Il s’appuyait sur des chiffres qu’il estimait rassurants : en 1992, un quart des immigrés d’Algérie de 20 à 60 ans vivaient en couple avec un conjoint français né en France de parents français. Chez les jeunes gens de 20 à 30 ans, un garçon sur deux avait une union avec une fille d’origine française (mais seulement une sur quatre pour les filles).

Le symbole du voile

Les querelles sur le voile islamique, les pressions viriles sur les filles dans les banlieues françaises, relèvent en tout cas, comme l’indique le géographe Yves Lacoste, d’enjeux majeurs : « À travers le comportement des jeunes filles, leur affirmation d’identité islamique, symbolisée par le voile, c’est la question du pouvoir qui est posée, du pouvoir au sein du monde musulman français mais aussi, peut-être, d’un pouvoir spécifiquement musulman sur certains quartiers urbains soustraits au pouvoir civil français. »

Historiquement, l’intégration s’est faite par le travail ; la famille du migrant le rejoignait quand la situation professionnelle du chef de famille était stabilisée.

Dans les années 1930, on n’avait pas hésité à renvoyer par wagons entiers des Polonais que la crise économique avait rendus chômeurs. Lors de la crise du pétrole, dans les années 1970, l'Etat n’a pas traité ainsi les travailleurs étrangers licenciés des industries automobiles. Le président Giscard d’Estaing atermoya entre aide au départ, négociations avec les pays d’origine et renvois autoritaires.

L'immigration familiale

Les successeurs du président Giscard d’Estaing, Jacques Chirac entre 1986 et 1988 puis les premiers ministres Rocard et Cresson n'agirent pas différemment. Les droits de l’homme s’imposaient désormais à la souveraineté de l’État. Les expulsions collectives d’étrangers avaient été interdites par un protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

On peut s'en réjouir ou le déplorer. Peu importe. Ce qu'il faut voir c'est que les gouvernements ont ainsi été poussés à encourager le regroupement familial. Ce nouveau type d'immigration rend d'autant plus important le modèle familial utilisé par les migrants. Si l'endogamie est privilégié par ceux-ci, les autorités publiques devront adapter leur politique d'intégration à cette réalité nouvelle : l'endogamie plutôt que la mixité.