« Autres pays, autres mœurs ». Les mœurs varient avec les sociétés humaines. Les voyageurs qui s’éloignent de chez eux sont souvent frappés par la variété des mœurs. Mais si on reconnaît la diversité des cultures, ne reconnaît-on pas que les groupes humains sont différents les uns des autres, qu'ils constituent une pluralité. Peut-on penser alors l’idée d’humanité, qui, quant à elle, présuppose celle d'unité ? On peut donc se demander si l’idée d’humanité n’est pas une idée abstraite, sans contenu réel, et si l’idéal d’une communauté universelle de tous les hommes n’est pas rendu impossible par l’antagonisme des cultures.Y a-t-il un élément commun à tous ces groupes qui les fédère et transcende la diversité des cultures ?

Renoncer à l'idée d'humanité ?

Immense bigarrure des mœurs, disions-nous. Les cultures sont diverses. Et si on reconnaît leur diversité, il faut aussi penser la diversité des groupes humains, puisque chaque culture est propre à un groupe humain. Or, l’idée moderne d’humanité comme ensemble des formes de de l’espèce humaine présuppose celle d’une unité des groupes humains. Penser la diversité des groupes humains semble donc conduire à penser le contraire de ce que présuppose l’idée d’humanité. Et donc à renoncer à l’idée d’humanité. L’idée d’humanité comme idéal de civilisation implique aussi qu'il n’y a pas de diversité des cultures.

Les groupes humains ont des caractéristiques communes

Mais ce raisonnement selon lequel il faut renoncer à l’idée d’humanité au nom de la pluralité des cultures présuppose tout de même que les groupes humains ont tous une culture et, donc, qu'ils ont quelque chose en commun, le fait d’avoir une culture.

Autre point commun à tous cs groupes : les caractéristiques communes à toutes les cultures, qu'on retrouve dans les cultures de chacun de ces groupes : à savoir le fait d’être un ensemble de manières de faire et de penser propres à un groupes humain donné. Ce raisonnement présuppose donc q les groupes humains ont une série de caractéristiques communes, qu'ils constituent donc un ensemble (l’ensemble des groupes ayant ces caractéristiques), qu'ils constituent une totalité, qu'ils ont une unité.

On voit que, loin de contredire la thèse d’une unité des groupes humains, la diversité culturelle la présuppose. La thèse de la diversité culturelle implique celle de la diversité des groupes humains, mais pas celle qu’ils n’ont pas d’unité. L’idée de la diversité des cultures ne contredit donc pas le présupposé de l’idée d’humanité.

La thèse de points communs à tous les groupes humains est même confirmée par les faits. En effet, les langues diffèrent mais tous les groupes en ont une. Les formes du travail diffèrent mais le travail est partout présent. Les institutions juridiques, morales et politiques varient elles aussi, mais il y a dans toute société humaine de telles institutions.

Les leçons de l'ethnologie

En revanche, l'observation de la diversité culturelle oblige les hommes à comprendre que, comme l'explique Claude Lévi-Strauss, le civilisé n'est pas l'opposé du soi-disant barbare, « Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie », selon l'expression célèbre de l'ethnologue dans sa conférence "Race et Histoire".

Dans ce discours, Lévi-Strauss critique la thèse de la supériorité de la civilisation occidentale et, plus généralement, de toute civilisation. Toutes les cultures ont tendance à estimer qu'elles sont supérieures aux autres, comme le montre le fait que de nombreuses ethnies font référence à elles-mêmes par un mot qui signifie "hommes", comme si les autres ethnies ou tribues ne faisaient pas partie du genre humain mais du genre animal. Il n'y a pas de critère objectif permettant de hiérarchiser les cultures. Utilise-t-on celui de la technique et de la maîtrise de la nature ? Les Eskimos ont fait preuve d'une plus grande capacité que nous à triompher d'un environnement hostile. L'idée d'une hiérarchisation des cultures est l'absurde.

L'observation de la diversité doit donc impliquer non le renoncement à l'idée d'humanité, mais à celle de supériorité culturelle.

Conclusion

La reconnaissance de la diversité culturelle implique la thèse de la diversité des groupes humains. Si celle-ci semble contredire la thèse de l’unité des groupes humains, présupposée par l’idée d’humanité, ns avons vu que, en fait, elle la présupposait. Les faits nous confirment que les groupes humains ont des caractéristiques communes. Loin donc de contredire l’idée d’humanité et d’impliquer le renoncement à celle-ci, la reconnaissance de la diversité culturelle présuppose la même chose que cette idée. La reconnaissance de la diversité des cultures rend aussi nécessaire de définir des règles communes à tous les hommes car, sans elles, les hommes et les cultures ne peuvent coexister dans la paix.

Or, des règles communes à tous les hommes présupposent l’idée d’une communauté de tous les hommes. L’idée d’humanité est une idée qu'il faut donc aussi penser. Face à la prégnance des conflits ethniques, il semble même urgent de penser la communauté des hommes.