Le 9 octobre 2008, l’Académie suédoise attribue le prix Nobel de littérature à Jean-Marie-Gustave Le Clézio. Nul doute que l’écrivain Français et Mauricien fêtera cette date anniversaire dans quelques jours. Le Clézio. Notre contemporain. C'est le titre de l'ouvrage que Marina Salles a consacré, en 2006, à cet écrivain français, Breton se réclamant aussi de l'Île Maurice. Ce joli titre évoquait, à son insu alors, à propos du même auteur, celui que Claude Cavallero appellera à désigner, lui-aussi en 2009, Le Clézio témoin du monde. D'un titre à l'autre, il y a une continuité qui se vérifie au niveau du contenu de l’œuvre elle-même déjà et surtout autour des thèmes de la multi-culturalité.

L'auteur avoue lui-même, par le biais de l'un de ses personnages d'Ourania, que « j'ai préféré imaginer quelque part dans le vaste monde, dans un pays que je ne connaîtrai jamais, une vieille femme, des enfants, mes demi-frères et mes demi-sœurs. Je ne sais pourquoi, cette idée m'a fait du bien. Il me semblait qu'elle s'accordait à mes convictions, à ma foi dans la communauté du réservoir génétique humain, donc à la négation de toute tribu ou de toute race. » Le Clézio est parvenu à dépasser le concept du citoyen républicain, enfermé dans le cadre de sa nation et de son groupe ethnique, pour envisager un espace plus large de rencontre qui serait peut-être celui du citoyen du monde.

Poète ou savant ?

Cette conviction n'est sans doute pas fortuite. Elle témoigne du lien que l'auteur entretient avec le monde de l'ailleurs, c'est-à-dire le monde des cultures autres, l’œuvre étant résolument guidée, avec cet auteur en voyage, cet auteur du voyage, par le thème du désir, celui de la rencontre, et par l’attraction qu'exercent cet ailleurs et cet autre, y compris le plus marginal.

D'ailleurs, dans un entretien, J. M. G. Le Clézio confessait que son vécu d'acquis, son « expérience du monde amérindien n'a cessé depuis de conforter [ses] choix. » Il ajoute ainsi qu'en cela, c'est-à-dire donc que « comme option consentie, la marge traduit [son] goût pour l'altérité, la différence. » Le Clézio est un ethnologue ou un anthropologue de l'ailleurs, autant qu'un écrivain en quête d'un monde à découvrir, un monde qu'il examine poétiquement.

La ressemblance avec ces chercheurs des sciences humaines qui étudient l'homme, est en effet constamment visible, ne serait-ce qu'au niveau de l'intention exploratoire que l’œuvre manifeste. Mais, la différence avec ces scientifiques est en même temps clairement mise à jour ailleurs, dans Raga notamment, où leurs méthodes sont souvent décriées : par exemple, au début du récit, Le Clézio dit des peuples polynésiens qu'ils appartiennent à un « continent invisible» que les scientifiques n'auraient jamais vraiment découvert. L’œuvre de Le Clézio est avant tout une œuvre littéraire, et non celle d'un chercheur en sciences humaines.

L'étude de l'autre

Il n'empêche que l’œuvre présente cet attrait, presqu'anthropologique vers tous ces lointains autres et ailleurs - ces étrangères cultures et ces continents amérindien, africain, maghrébin, ces espaces insulaires et désertiques surtout.

Il y a chez J.M.G. un vif désir de sonder, d'approcher, d'investir voire peut-être de réfléchir afin de comprendre. On peut légitimement appeler Le Clézio le « nomade immobile » en raison de son attitude d'anthropologue qui s'installe pour contempler cet objet appelé autre en raison du fait que ce dernier, lointain étranger, vit sur des continents autres ou bien parce qu'il a été éduqué, comme Bravito l'Indien, dans une culture autre. L'objet de l’œuvre, c'est l'autre, appréhendé par le biais du voyage. L’œuvre est nomade pour ainsi dire, puisqu'elle s'installe un peu partout en parcourant le monde entier à l'image de ce que faisait déjà, en 1969, Jeune Homme Hogan déambulant dans Le Livre des fuites.

Ce personnage jeune, en effet, et alors qu'il n'avait que « vingt-neuf ans [et est] né à Langson (Vietnam), entreprend autour du monde une déambulation qui est une fuite perpétuelle. Du Cambodge au Japon, de New York à Montréal et Toronto en passant par la Californie et le Mexique» ; il dit vouloir tracer sa route, pour la détruire ainsi, sans repos. » Le récit du Livre des fuites paraît de ce point de vue illustrer le mode d'investigation de l'ailleurs et de l'autre qu'on retrouve dans toute l’œuvre.