La montée en puissance des innovations technologiques attenantes aux moyens de communications et la dégradation des marchés de l’emploi ont permis l’essor de nouvelles formes de relations au travail de plus en plus précaires. Ainsi, des plateformes telles que Uber Eats, Stuart, Nestor ou Frichti mettent en relation des travailleurs indépendants et leurs clients par le biais du smartphone. Présentées comme une alternative au chômage, cette nouvelle relation au travail a aussi été interprétée comme les prémisses d’une destruction toujours grande du tissu salarial, dans lequel toutes ces plateformes profitent de la paupérisation d’une partie de la population pour exploiter et tirer un maximum de profits.
Pourtant depuis plusieurs mois de plus en plus de collectifs de travailleurs de l’économie numérique s’organisent afin de mener une offensive à l’encontre de ces plateformes et in fine remettre en doute ce type de modèle économique et managériale.
Première reconnaissance d’un statut salarial
Ces travailleurs du secteur numérique ont jusqu’à maintenant été ignorés par l’ensemble des différents acteurs du monde du travail, sans doute par leur manque de visibilité dû à leur dispersion inhérente à la caractéristique de leur statut social. Mais aujourd’hui comme l’a annoncé le Dauphiné, et pour la première fois, Uber Eats vient de franchir le pas et de salarier 500 livreurs dans la canton de Genève.
En effet, dans un communiqué transmis à ces derniers le 25 août, la firme a annoncé qu’à compter du 1 septembre, les livreurs changeraient de statut et seront salariés de la société Chaskis SA. Il faut dire que ce changement a été rendu possible par l’action conjointe des syndicats et de l’État Genevois devant la justice. Comme le rapporte le Temps, en juin 2019 le canton de Genève a exigé aux plateformes de respecter la loi et de salarier les indépendants.
Face à cette décision Uber Eats demande un recours au Tribunal Administratif Fédéral, qui prendra une décision l’an prochain. D’ici là, et sans effet suspensif de la décision du canton, Uber Eats devait se plier à la règle. Ce qui est chose faite. Faut dire que la décision prise par Uber Eats fait écho à un mouvement international, qui s’est enclenché depuis 2 ans, dans lequel des actions menées en justice sont coordonnées par les syndicats et les États à l’encontre de la plateforme.
Ainsi, en Italie comme nous l’explique Korii, Uber Eats s’est vu être placée par le parquet de Milan, sous contrôle provisoire de la justice en mars 2020. Car la Justice soupçonne Uber Eats d’exploiter des sans-papiers par le biais de différents sociétés de sous-traitances. Ce qui fait aussi écho à Fritchi et sa communication « moderniste », qui cet été, a été confrontée à une situation similaire débouchant sur un bras de fer entre la direction et les livreurs sans papiers. Ou encore la Californie, qui a exigé à ces plateformes, en application de la loi AB5, de salarier ces indépendants payés à la tâche. Nous ainsi une sorte de retournement de situation où les « biens faits » de l’économie numérique sont de plus en plus remis en question.
L’enjeu du lien de subordination, l’hypocrisie française :
Ce mouvement international ne s’arrête pas aux frontières françaises. En effet, ce sont les chauffeurs VTC indépendants qui ont en premier sonné le glas de l’emprise d’Uber. L’hypocrisie, dont il est question, se dissimule dans ce qui pourrait être qualifié de lien de subordination. En effet, plusieurs chauffeurs indépendant ont poursuivi la plateforme devant les Prud’hommes au motif qu’Uber procéderait à du travail dissimulé et qu’ils seraient subordonnées aux contraintes imposées par la plateforme. Ils ont pu obtenir gain de cause en démontrant qu’il y avait bien un lien de subordination.
L’Arrêt n°374 du 4 mars 2020 prononcé par la Cour de cassation à l’encontre d’Uber rappelle en préambule que "Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution." Dorénavant, la question est de savoir si ce mouvement pourrait se propageait à l’ensemble des travailleurs indépendants. Car même si, les conditions de travail sont rudes, et au vu des commentaires publiés sur les différents groupes présents de livreurs indépendants sur les réseaux sociaux, il n’existe pas un réel consensus global exprimant une volonté collective d’affronter Uber Eats. Affaire à suivre.