Le jeune ambitieux aura donc réussi son incroyable pari : être issu d'une administration sortante ô combien décriée, mais décrocher, à seulement 39 ans, le Graal politique. Un véritable exploit rendu possible par le vieillissement d'une concurrence par ailleurs globalement porteuse de recettes éculées.

Symbole du renouvellement de l'offre politique, d'une jeunesse ambitieuse et audacieuse, Emmanuel Macron sera néanmoins attendu au tournant dès ses premières semaines à l'Elysée et nombreux sont ceux qui, face en particulier à sa volonté de réforme le code du travail par ordonnance, pressentent déjà des troubles sociaux d'envergure.

Les Français étant légitimistes, on peut tout de même s'attendre à ce que le fougueux successeur de François Hollande bénéficie d'une majorité parlementaire au terme des élections législatives du mois prochain, relative presque assurément, absolue peut-être.

Nul besoin cependant d'être grand clerc pour présumer, quelle que sera l'issue desdites élections, d'oppositions fortes ou plus exactement extrêmes à ce président au moins autant élu pour faire barrage à Marine Le Pen que pour son programme, dont les ressorts échappent au demeurant à des millions de Français. Sans doute le revers de la médaille pour celui qui aura réussi le tour de force de ringardiser le Parti socialiste et, à un degré moindre, les Républicains.

Les partis traditionnels phagocytés

Ces derniers sont aujourd'hui en grande difficulté, après avoir perdu une élection gagnée d'avance. Certains ténors du parti, à l'image de Bruno Le Maire, se sont très tôt dits prêts à travailler avec la nouvelle administration. Les autres, majoritaires, préfèrent se concentrer sur les législatives, convaincus que les Républicains sont en mesure d'imposer une cohabitation à Emmanuel Macron.

Dans le cas contraire, "LR" aura du mal à échapper à une remise à plat profonde qui pourrait accoucher d'une "centrisation", considérant que labourer les terres du Front National n'est plus payant depuis 2007 et l'"OPA" de Nicolas Sarkozy sur l'électorat frontiste.

Cette refonte apparaît d'autant plus nécessaire étant donné la force actuelle d'un FN qui aspire lui-même à se réformer, probablement en ripolinant son image et en préconisant un programme économique plus réaliste, et plus lisible.

Le parti de Marine Le Pen pourrait aussi se poser en champion exclusif de la souveraineté nationale, surtout si la droite classique se "macronise", aidé en cela par son alliance controversée avec "Debout la France". Etant donné la vigueur actuelle de l'euroscepticisme dans nos frontières - euroscepticisme qui ne va pas forcément de pair avec la sortie de l'euro, boulet du FN durant le scrutin présidentiel - et la recomposition de l'échiquier politique, désormais bien enclenchée, il conforterait sans doute par là-même sa position de premier opposant.

Il convient en outre de ne surtout pas oublier le score colossal enregistré par la France insoumise, autre force anti-européenne redoutable et qui a littéralement avalé le Parti socialiste, plus sûrement encore que le FN et son nouvel allié Nicolas Dupont-Aignan ont compromis les desseins élyséens de François Fillon.

Les manifestations de ce jour ont annoncé la couleur : si les électeurs mélenchonistes ont pour la plupart voté Emmanuel Macron au second tour, c'était uniquement en raison des idées jugées inacceptables de sa rivale.

L'ancien ministre de l'Economie l'a bien compris : il ne s'agit pas d'un blanc-seing, ni d'une approbation tardive d'un programme dont il est acquis qu'il échouera à atténuer toutes les crispations. Il aura face à lui, à ses velléités réformatrices, à sa fougue et à son orgueil d'homme à qui tout a réussi jusqu'ici des opposants remontés comme des pendules, autant contre ses idées que contre le système au sens large, la finance et l'Europe technocrate. Emmanuel Macron se devra d'en tenir compte et passera certainement cinq ans à jouer les équilibristes, entre la nécessité d'accomplir et celle de ne pas diviser encore plus le pays.

Il devra aussi tenir compte de la forte menace islamiste, dans un pays excédé, avide de fermeté, de contrôles renforcés, de lois plus strictes, mais qui refuse toujours les généralisations et les amalgames.

Les défis sont colossaux. On saura dans cinq ans si l'homme que les Français viennent de porter à l'Elysée, davantage par défaut que par adhésion, saura les relever.