De nombreux économistes s'accordent à le dire : dix ans après la plus grave crise économique de notre histoire, le secteur bancaire et financier mondial n'est pas tout à fait tiré d'affaire. Pire, selon ces mêmes personnes, certaines institutions, voire pays, n'ont visiblement pas retenu la leçon. Parmi ceux-ci : le Royaume-Uni, empêtré dans « son » Brexit, sans solution, alors que divers spécialistes lui prédisent un « scénario noir », fait de prix de l'immobilier en chute libre et de chômage massif. Selon Mark Carney, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, si le gouvernement britannique ne parvient pas à trouver d'accord avec Bruxelles pour sortir de l'Union européenne (UE), la chose est effectivement entendue : la crise financière peut de nouveau pointer le bout de son nez.
Avec la même intensité et des effets semblables que celle de 2008.
Le volontarisme débridé de Jean-Pierre Denis
Sauf que les états, encore secoués par le cataclysme engendré par la chute de la banque américaine Lehman Brothers, ne pourraient aujourd'hui faire face à de nouvelles secousses. « Cette grande crise du capitalisme sans cesse repoussée par l' ‘‘achat de temps’’, pour reprendre l'expression de Wolfgang Streeck, est devant nous. Le monde financier danse à nouveau sur un volcan » écrivait il y a quelques jours l'économiste David Cayla dans Le Figaro. Et, comme l'ont rappelé à maintes reprises les banques centrales, par exemple, jouer la carte du repli sur soi, en ce moment, relève du numéro d'équilibriste.
L'heure est davantage à la « mise en commun » et au renforcement des structures plutôt qu'au voyage en solitaire. Rien de plus logique : face à la crise stagnante, la mutualisation des moyens de défense vaut mieux que leur morcélement.
En France, comme s'il fallait assombrir un peu plus le tableau, le monde mutualiste et bancaire est chamboulé par la volonté d'un de ses acteurs de jouer une partition solo.
Le Crédit Mutuel Arkéa (CMA), filiale bretonne de la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM), milite depuis des mois sous la férule de son patron, Jean-Pierre Denis, pour se désarrimer de sa maison-mère, en dépit des avis contraires. L'homme d'affaires, présenté tantôt comme un banquier carriériste, tantôt comme un « bonnet rouge de la finance » – l'intéressé préférant le second sobriquet –, a par exemple balayé d'un revers de manche les cris d'alarme émis en début d'année par la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque de France, les deux autorités compétentes en la matière.
Mais également ceux du Président de la République et du Premier ministre français.
Fin politique – il a été secrétaire général adjoint de l'Elysée sous Jacques Chirac –, Jean-Pierre Denis joue la carte régionaliste à fond pour tenter de mobiliser autour de son projet d'indépendance. Et n'hésite pas à employer les grands moyens. En avril dernier, les 300 administrateurs des caisses locales du Crédit Mutuel de Bretagne ont d'ailleurs voté pour le principe de la séparation, tandis qu'un scrutin semblable se tiendra en novembre prochain pour arrêter définitivement le projet. Cependant, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les manœuvres offensives du patron d'Arkéa, qui a par exemple « encouragé » ses salariés à se rendre à une manifestation pro-indépendance, le 5 avril dernier à Paris.
Un volontarisme débridé qui en a amené certains, dans le monde mutualiste, à s'interroger sur les véritables raisons de la sécession.
Mettre la clé sous la porte
Mais, sourd à tout avis de tempête, Jean-Pierre Denis n'a cure des voix discordantes. Même lorsqu'elles viennent de l'intérieur. « On prétend que l'indépendance procurerait à Arkéa de formidables possibilités de développement. C'est faux. Ce groupe a énormément gagné en taille au cours des dernières décennies et au sein de la Confédération personne n'y fait obstacle. En revanche, dans l'hypothèse d'une transformation en banque ‘‘ordinaire’’, il perdra en puissance, en solidarité et en crédibilité. Et, avec lui, ses clients », ont tenté d'avertir d'anciens salariés et membres du monde coopératif mutualiste.
Selon eux, Jean-Pierre Denis précipiterait le CMA dans l'inconnu, une fois détaché du CNCM. Mais, une chose est sûre, « en cas de crise financière, Arkéa serait moins bien armé pour se défendre. C'est un deuxième risque considérable. »
Et les dirigeants du groupe breton, étonnamment, en ont bien conscience. Dans leur « document de référence actualisé » publié fin août, ces derniers reconnaissent que « la situation liée au projet de désaffiliation du groupe Crédit Mutuel Arkéa de l'ensemble Crédit Mutuel est complexe et des incertitudes et des risques associés existent. » Concrètement, outre la problématique liée à l'abandon de la « marque » Crédit Mutuel, « la désaffiliation unilatérale des caisses locales […] emporterait la perte du bénéfice de l'agrément bancaire collectif […], ce qui pourrait être susceptible d'avoir un impact sur leur possibilité d'émettre, pour le futur, des parts sociales par offre au public.
» Or, celles-ci constituent à ce jour une source de financement essentiel pour Arkéa, comme le note également le document.
A défaut d'un « schéma alternatif », « l'incapacité des caisses locales à poursuivre les émissions par offre au public pourrait [donc] avoir des incidences fortes sur [la] situation financière [du CMA] ». Qui, en cas de nouvelle crise, pourrait mettre la clé sous la porte, alors que sa maison-mère, qui a déjà résisté à la banqueroute de 2008, aurait les armes pour l'affronter. Et s'en tirer. Mais au-delà de la faillite financière qui guette Arkéa, les méthodes employées par Jean-Pierre Denis interrogent forcément. Celui-ci s'est déjà fait épingler à plusieurs reprises pour avoir forcé des salariés à aller manifester en faveur de son projet ; il pourrait également nourrir des critiques pour le salaire digne de celui d'un patron du CAC40 qu'il s'est fixé. Si bien qu'à défaut d'une crise financière – qu'on ne souhaite pas –, c'est une crise de confiance qui pourrait plomber le CMA.