S’il était mené à son terme, le projet de Jean-Pierre Denis, véritable héros en quête de sens dans ce scénario un brin absurde, pourrait être dangereux pour la banque et les salariés.
Après Braquage à l’italienne et Braquage à l’anglaise, voici Braquage à la bretonne. L’histoire, bien réelle, bien qu'un brin absurde, d’un patron plein aux as qui, seul contre tous, veut réaliser le casse du siècle, en braquant sa propre société, quitte à la faire couler. Une lubie incompréhensible, faite d’appât du gain et de délire égotique, qui amènera d’ailleurs le personnage à ferrailler avec les plus hautes autorités de l’État.
Braquage à la bretonne, c’est également une fable de ce siècle, dans laquelle l’argent tient évidemment une place prépondérante. Au détriment, comme bien souvent, des personnages secondaires — que l’on appelle, en l’occurrence, salariés et sociétaires. Le casting est arrêté, les décors sont plantés, les bases du scénario jetées. Il n’y a plus qu’à tourner. Et... Action !
Entourloupe intellectuelle
Dans sa Bretagne natale, Jean-Pierre Denis a gagné un sobriquet qui lui plaît bien. Le « bonnet rouge » du Crédit Mutuel. À la tête d’Arkéa, la filiale bretonne du groupe mutualiste tricolore, depuis 2007. Il décide d’endosser le costume du rebelle, à la manière d’un William Wallace prenant la tête de la révolte anti-Couronne d’Angleterre dans Braveheart.
Germe alors dans son esprit le projet d’indépendance de son groupe, qu’il porte à bout de bras depuis plusieurs mois maintenant.
Ses idées sont claires : « Il n’est plus possible de concilier notre appartenance à la Confédération nationale du Crédit Mutuel et notre autonomie », dégaine-t-il à l’époque. Jean-Pierre Denis doit ainsi se défaire de sa maison mère.
Pourtant, celui qui désire aujourd’hui renverser l’ordre établi n’a pas toujours été prompt à l’encanaillement.
Notre personnage a fait ses classes parmi l’élite française, entre les bancs de HEC et ceux de l’ENA, dont il sort d’ailleurs deuxième, ce qui lui permet d’intégrer le corps ultra prisé des inspecteurs des finances.
Et, un peu plus tard, le cercle fermé de la Chiraquie, avant de se voir propulser en 1995 secrétaire général adjoint de l’Élysée. Le très libéral énarque prend rapidement le pli de la politique. Et dérange : l’un de ses anciens collaborateurs élyséens dira de lui qu’il était « un homme capable de mauvais coups, et qui ne cessait de monter les gens les uns contre les autres ». Peu ou prou le même son de cloche chez un camarade de l’époque, Denis Conus, qui confiera que « Jean-Pierre est un ordinateur. Les synthèses, il adore. […] Sa doctrine, c’est lui-même ».
Un patron est né. Pas sûr, toutefois, qu’il eût crevé l’écran s’il n’avait eu pour lubie l’indépendance du groupe breton. Qui n’est autre qu’un choc des cultures entre, d’un côté, la philosophie mutualiste, basée sur la coopération, et la philosophie Jean-Pierre Denis, basée sur le profit.
Pas étonnant, ainsi, de voir Arkéa investir à tout va dans l’économie de demain — comme le secteur de la FinTech par exemple, malgré de nombreux risques. Plus surprenante — et légèrement absurde — est la volonté de notre « héros » de centraliser la nouvelle structure, une fois son indépendance gagnée, alors que c’est là tout ce qu’il reprochait à sa maison mère. Une entourloupe intellectuelle qui lui permettrait d’avoir l’exclusivité sur les activités bancaires d’Arkéa...
Jean-Pierre Denis en quête de profit
Qu’en ferait-il, de ces leviers ? Le scénario, sur ce point, reste à écrire — tout comme, d’ailleurs, le dernier chapitre, personne ne sachant ce qu’il va advenir du Crédit Mutuel Arkéa pour l’instant.
En profitera-t-il pour augmenter ses émoluments ? D’après l’Agence économique et financière (AGEFI), Jean-Pierre Denis figure déjà à la sixième place des patrons de banques françaises les mieux payés (1,6 million d’euros l’an dernier). Serait-il, dès lors, un « Robin des Bois à l’envers » ? Dont la philosophie serait de prendre aux moins favorisés pour s’enrichir ? Car, pour rappel, l’indépendance d’Arkéa, et la perte incidente du statut mutualiste, aurait de lourdes répercussions sur ses clients et salariés — ces derniers pouvant perdre leur emploi.
À de nombreuses reprises, l’histoire a fait la part belle aux joutes verbales entre, d’un côté, les autorités financières françaises et européennes, le gouvernement, et, de l’autre, Jean-Pierre Denis.
Celui-ci, littéralement habité par son projet, refusant de prendre pour argent comptant leurs avertissements. L’agence de notation Standard & Poor’s y est également allée de sa petite mise en garde : à trop vouloir grimper, on peut avoir le vertige, aurait-elle pu dire au patron d’Arkéa, alors qu’elle lui signifiait déjà un abaissement probable de sa note financière. Sauf que Jean-Pierre Denis est déjà, vraisemblablement, en perte de sens.