Alors que Jean-Pierre Denis persiste dans son projet d’indépendance, le doute s’installe quant aux réelles motivations du patron d’Arkéa. Et ce tant chez les personnalités politiques, comme Marylise Lebranchu, que chez les syndicats.
Cet été, au plus grand dam du monde mutualiste tricolore, le feuilleton Arkéa continue plus que jamais. Après des mois d’atermoiement, pendant lesquels il a été sommé de toute part de préciser son projet d’indépendance, Jean-Pierre Denis, le patron de la branche bretonne du Crédit Mutuel, a fini par en dresser les contours il y a quelques semaines.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. Pire, il inquiète toujours autant, chez les fédérations d’Arkéa comme chez les syndicats, en passant par le monde politique.
Centralisation : Jean-Pierre Denis retourne sa veste
L’objectif n’a évidemment pas changé : il s’agit toujours de faire sécession de la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM). En revanche, M. Denis a complètement viré de bord s’agissant des suites à donner à la future entité créée. Alors qu’en mai 2017, en présentant son projet, il affirmait que « le Crédit Mutuel Arkéa refuse toute forme de centralisation » le patron breton reprochant précisément, mais sans preuve, au CNCM son jacobinisme, « sa » banque adopterait un schéma très centralisé, puisque seule la société anonyme Arkéa pourrait réaliser des activités bancaires, qui se verraient alors regroupées.
Exit, le « groupe bancaire coopératif et mutualiste indépendant » que Jean-Pierre Denis affirmait vouloir au départ. Selon ce nouveau schéma, les caisses locales deviendraient alors de « simples » sociétés coopératives, uniquement chargées de faciliter l’accès aux services bancaires et financiers. Mais sans pouvoir y toucher.
Le patron du CMA rétropédale donc sur ce point, comme il fallait s’y attendre ; nombreuses sont les voix de la Banque de France à la Banque centrale européenne (BCE), qui ont un droit de regard sur les activités bancaires mutualistes qui l’avaient d’ailleurs prévenu sur l’audace de son projet.
Reste à savoir si la centralisation faisait, dès le début, partie du plan de Jean-Pierre Denis.
Si oui, il aura réussi à rouler dans la farine un grand nombre de personnes, en tête desquelles ses propres fédérations, dont certaines n’hésitent pas à taper du poing sur la table. Le 29 juin dernier, le Crédit Mutuel Massif Central (CMMC) a par exemple déclaré qu’il souhaitait demeurer mutualiste, et devrait ainsi rejoindre la Caisse fédérale du Crédit Mutuel (groupe CM11) d’ici 2020. Une décision que les dirigeants du CMA, qui ne dispose d’aucun droit de veto en l’espèce, ont très peu goûtée ; le groupe Arkéa, début juillet, a réagi en dénonçant cette volonté émancipatrice ce qui n’est pas le moindre paradoxe.
Jean-Pierre Denis de plus en plus critiqué
Les syndicats d’Arkéa, de leur côté, semblent irrités par le grand flou qui entoure le projet.
« On demande aux élus du personnel de se prononcer sur un projet qui reste vague, qui nous semble peu stabilisé et sur lequel pèsent, comme toujours, énormément d’incertitudes » ont-ils conjointement déclaré, le 7 juillet dernier, à l’issue d’un comité central d’entreprise. « On nous a fourni un document de 34 pages, dont à peine 20 vraiment utiles. C’est maigrelet pour une réforme de fond, dite historique. Et c’est vraiment peu pour un texte censé détailler les impacts sociaux, économiques et juridiques de la séparation » ont-ils poursuivi.
Peut-être n’est-ce pas dans l’intérêt d’Arkéa d’exposer, fut-ce dans un document confidentiel, les conséquences de son indépendance ? La CNCM, au début de l’été, a par exemple chiffré la désaffiliation de l’entité bretonne, dont le coût est estimé à plus d’1 milliard d’euros ; la Confédération devrait, en cas de rupture, réclamer une partie des 3,5 milliards d’euros qu’Arkéa gardait en réserve, ainsi qu’une « indemnisation pour les dommages créés » par le groupe breton.
Quant à l’agence de notation Standard & Poor’s, qui n’avait pas manqué d’étriller Jean-Pierre Denis et son projet de sécession en janvier dernier, elle reste visiblement sur son intention de dégrader la note d’Arkéa en dessous de la catégorie-reine « A ».
Enfin, si le monde politique s’est emparé du sujet depuis longtemps déjà, le chef de l’État et le Premier ministre s’étant par exemple prononcés contre, les prises de position « hostiles » à l’indépendance du CMA continuent d’affluer. Dernièrement, c’est l’ancienne ministre de la Décentralisation, de la Fonction publique et de la Réforme de l’État de François Hollande, Marylise Lebranchu, qui a dit tout le bien qu’elle en pensait. « Je ne comprends toujours pas les raisons qui poussent Arkéa à quitter le giron du CNCM.
Quel est le projet ? Pourquoi l’indépendance par rapport à l’autonomie qu’on a déjà ? » s’est interrogée la socialiste, par ailleurs sociétaire du Crédit Mutuel de Bretagne. Et de prévenir : « Si Arkéa n’est plus mutualiste, je pars ».