Depuis la fin du mois de décembre en Iran, le peuple se soulève contre la tyrannie des mollahs au pouvoir depuis 1979. Pour la première fois depuis longtemps dans un soulèvement iranien, le peuple, porté par la résistance, demande clairement un changement de régime. L'acteur principal qui a su mobiliser lors des manifestations revendiquant le renversement du régime, a été l’organisation de la Résistance, les Moudjahidine du Peuple d’Iran. Un mouvement fondé il y plus de cinquante ans pour conduire le pays dans la voie de la démocratie.
Six jours après le déclenchement des manifestations le 28 décembre 2017, inquiété par l’essor de l’OMPI et son rôle crucial dans la récente révolte, dont les secousses post-sismiques continuent de malmener le régime, Hassan Rohani appelait son homologue français, Emmanuel Macron, pour lui demander de l'aider à museler le mouvement qu’il a qualifié de « groupe terroriste ».
Mais qui sont ces opposants farouches au régime des mollahs ?
Les Moudjahidines du peuple, la résistance depuis 1963 !
C’est en 1963 qu’un groupe de jeunes intellectuels fonde l’OMPI, l’Organisation des Moudjahidines du Peuple Iranien. Issus des jeunesses Mossadeghistes (le premier ministre démocrate qui avait nationalisé l’industrie du pétrole en 1953 et ensuite été renversé par un coup-d’Etat de la CIA), les membres fondateurs de ce groupe de résistance trouvent la source de motivation de leurs actions et de leur philosophie dans l’oppression que le régime monarchique du shah fait subir au peuple. L’OMPI s’inspire d’une vision progressiste de l’islam, qui colle à la réalité du vécu en Iran, et qui permet à chacun d’entrevoir ce que pourrait être une vraie justice sociale.
Il s’agit d’une voie originale parvenant à faire l’amalgame cohérent de la tradition musulmane et du progrès social dans une vision laïque et démocratique de l’état.
En 1979, le Shah est renversé. Le peuple exulte et les héros de la résistance sont portés aux nues. Mais l’euphorie ne dure qu’un instant. Les dirigeants de l’OMPI viennent seulement d’être libérés des geôles du shah, mais ne sont pas les bénéficiaires de cette révolution.
Les islamistes ont eu largement le temps de s’accaparer de mouvement populaire contre le shah. Ecarté du pouvoir par le fondateur du régime islamiste, Rouhollah Khomeiny, l’OMPI effectue sa mue et devient un parti politique. Et alors que le peuple attend avec impatience des élections libres, la dictature islamique naissante refuse de se soumettre à des élections.
Massoud Radjavi, leader de l’OMPI, candidat soutenu par tous les groupes d’opposition, se voit interdire d’élections présidentielles par une fatwa de Khomeiny,. De fait, refusant de reconnaître le principe clérical de guide suprême, l’OMPI devient la principale opposition à la nouvelle dictature qui s’installe au nom de la religion.
Le clergé désormais au pouvoir voit d’un très mauvais œil la popularité de ces jeunes intellectuels qui revendiquent une république moderne et démocratique. Le journal ‘Modjahed’, l’organe du mouvement, est tiré à plus de 600 000 exemplaires et les conférences organisées dans tout le pays attirent beaucoup de monde. Le 20 juin 1981, l’OMPI appelle à une manifestation pacifique de plus de 500 000 personnes à Téhéran pour protester contre les politiques de plus en plus liberticides des nouveaux gouvernants.
En réponse aux revendications du peuple, le Guide suprême des Mollahs ordonne de tirer sur la foule. Mais le bain de sang qui s’en suit ne s’arrête pas là.
Aussitôt, des rafles sont organisées pour interpeller tous les sympathisants du mouvement. L’emprisonnement, la torture et les exécutions arbitraires n’ont cessé depuis lors. Avec un point d’orgue durant l’été 1988, où une nouvelle fatwa de Khomeyni ordonne la mort de tous les opposants politiques, y compris ceux déjà emprisonnés et ayant purgé leur peine. 30 000 personnes périssent sous l’inculpation de « Mohareb » ou ennemi de Dieu, ordonné par le Guide suprême en digne précurseur de Daesch.
Pourtant, même au sein de l’Etat, certaines voix discordantes se font entendre.
C’est le cas de l’ayatollah Ali Montazeri, alors N°2 du régime, qui précise que « Les Moudjahidine du peuple ne sont pas composés d’un nombre d’individus. Il s’agit d’une idée et d’une logique. Tuer ne fait qu’entraîner sa propagation ». Peu importe, Montazeri est destitué. C’est Ali Khameneï qui prend la suite de Khomeyni à sa mort en tant que Guide suprême du régime islamiste. Mais la phrase de Montazeri sonne comme une révélation biblique. Les Moudjahidines du peuple n’ont jamais cessé le combat. Ils sont toujours présents, et de plus en plus nombreux. Le mouvement est enraciné dans la culture iranienne, les réseaux sont remarquablement constitués, et même les conspirations politiques de l’Etat iranien sur la scène internationale n’ont pu atteindre la légitimité du combat et la détermination des résistants à rendre au peuple sa souveraineté.
L’élargissement du combat
Dès 1981, un rassemblement de toutes les oppositions pour passer outre le régime totalitaire se met en place. Le Conseil National de la Résistance Iranienne (CNRI) est né. Et il regroupe non seulement les Moudjahidines du peuple et d’autres formations et personnalités politiques, mais aussi les minorités ethniques et religieuses. Dans ce grand conseil de 500 membres, on trouve donc aussi bien des musulmans que des chrétiens, des juifs et des zoroastriens, des baloutches, des kurdes, des azéris, des perse ou des arméniens qui s’épaulent et luttent ensemble. Toutes les résistances s’unissent alors et s’élèvent contre le pouvoir théocratique.
25 commissions sont organisées au sein du Conseil, préfigurant ce qui pourrait être considéré comme un gouvernement provisoire en attente d’élections libres six mois après le renversement du régime actuel.
La figure emblématique de ce mouvement est Maryam Radjavi qui est élue présidente de la Résistance iranienne. Une opposante qui a pu faire émerger le rôle des femmes dans la résistance. Pour son combat contre la dictature elle a payé un lourd tribu. Une de ses sœurs a été exécutée par le shah, une autre par les sbires de Khomeiny. Le programme du CNRI qu'elle défend est clair :
- Pluralité du système politique ;
- Suffrage universel ;
- Liberté de partis et d’associations ;
- Abolition de la peine de mort ;
- Séparation de l’église et de l’état ;
- Fin des discriminations à l’égard des femmes, et des minorités, ethniques et religieuses ;
- Egalité hommes-femmes y compris en politique ;
- Présomption d’innocence et indépendance totale de la justice ;
- Respect de la déclaration universelle des droits de l’homme ;
- Coopération et coexistence pacifique avec les états de la région et du monde ;
- Fin du programme nucléaire…
Une alternative crédible et viable
Depuis plusieurs décennies, les hommes et les femmes qui animent le front de la Résistance iranienne se battent.
La jeune génération des Iraniens est au rendez-vous et soutient largement, dans la diaspora comme à l’intérieur de l’Iran, cette force d’opposition qui a montré une résilience hors du commun. Rares sont les mouvements de résistance qui ont payé aussi fort le prix pour la liberté de leur peuple comme le CNRI et l’OMPI. Des dizaines de milliers de sympathisants ont été exécutés, torturés, embastillés, brimés…
Fort de leurs expériences de lutte mais aussi des valeurs humaines qu’ils ont forgées dans leur engagement et leur fidélité à la cause de la libération de leur peuple, les résistants iraniens incarnés par le CNRI représentent aujourd’hui non seulement une alternative crédible et viable, mais aussi une garantie que le prochain bouleversement en Iran ne soit pas dévoyé vers une nouvelle forme de totalitarisme ou d’extrémisme.