Comme d’habitude, les pays africains, en mal de réputation médiatique, au nom de la bonne gouvernance, vont s’approprier l’acte de bravoure de Gassama. Clandestin, venu du Mali en passant par l’Italie, Gassama a été entouré par l’Ambassadeur du Mali en France qui manifestement souhaite en tirer des bénéfices politiques pour le pays qu’il représente. La récupération en France est aussi à l’ordre du jour car il y a une course de vitesse entre Hidalgo et Macron, ce qui est normal en France, l’est beaucoup moins pour l’Afrique prête à se couvrir de gloire des actes de bravoure de ses propres citoyens qu’elle maltraite.

L’histoire aurait pu être tragique. Gassama aurait pu mourir et ne jamais sauver le garçonnet de 4 ans qui lui-même aurait subi le même sort. Il faut saluer aussi l’acte de résistance et de courage de ce petit bout de chou suspendu au balcon jusqu’à l’arrivée du sauveur. Gassama est un héros des temps modernes qui a agi en muntu comme on le dit en Afrique centrale, c'est-à-dire en homme qui fait de l’autre homme son complémentaire, son différent, son unité. Gassama a agi en humain pour l’humanité, sans tenir de la couleur de l’enfant, peu importe noir ou blanc.

Gassama en muntu (homme) au service de l’humanité

Gassama est devenu en 24 heures un exemple, un héros national pour toute la jeunesse de France et pour toute la société française entière.

Les immigrés ne doivent pas être cantonnés au registre de personnes malfaisantes, Gassama vient de nous le prouver. Dans tout homme, quelle que soit sa richesse ou son infortune, il y a toujours un brin d’humanité. La société française a tendance à l’oublier et elle se rappelle à elle-même quand des actes comme ceux de Gassama viennent pointer la nécessaire solidarité entre les populations, quelles que soient les origines.

La République reconnaissante va naturaliser Gassama en faisant de lui un Français digne d’appartenir à la communauté nationale. Collomb, ministre de l’Intérieur, se charge d’accélérer la procédure. Gassama a été reçu par Emmanuel Macron, la ville de Paris se propose aussi d’en faire un citoyen particulier. Gassama va être recruté par les sapeurs pompiers de Paris, il va avoir un emploi, un logement.

Le clandestin d'hier, devenu citoyen à part entière après sa naturalisation, pourra rendre d'autres services à son pays d'accueil grâce à son emploi. Il est de la même trempe que Lassana Bathily qui, au cours de la fusillade au supermarché casher avait réussi à sauver des vies de personnes de confession juive en les cachant dans la chambre froide. Hidalgo en fera un citoyen de la ville. Déjà une polémique monte sur le lien à établir entre acte de bravoure et obtention de la nationalité française. Il ne faut rien exagérer, l’acte de Gassama est normal dans n’importe quel village africain. Il devient extraordinaire dans des sociétés comme les nôtres, modernes et individualistes. Dans tout acte de bravoure, il y a une hiérarchie.

L’acte de Gassama restera au Panthéon des actes uniques assimilables à ceux des résistants qui, au péril de leurs vies, ont défendu la France. Gassama a mis la sienne en danger. Il aurait pu lâcher prise et se tuer, tout comme le petit garçon résistant qui n’aurait pu être sauvé.

Comment parler de l’héroïsme dans nos sociétés qui s’individualisent de plus en plus

La société des individus étudiée par le sociologue Norbert Elias, s’interroge sur le rapport entre la conscience de soi et l’image de l’autre homme, qui n’est pas soi. Cette interrogation qui prend sa source au cours de la seconde guerre mondiale avec la barbarie nazie au cours de l’holocauste, prend une signification moderne dans le rapport complexe du moi par rapport à lui et du nous par rapport au je.

Pour Elias, l’immigré c’est l’outsider, l’étranger, les established c’était les « normaux », ceux de l’intérieur, les bien-pensants. Gassama est passé en 24h du statut d’outsider à celui d’established, au sens d’établi. Cela montre la vacuité de l’existence et il faut se féliciter que l’humanité ne disparaisse pas en nous. Malgré nos égoïsmes, nos lâchetés, il y a toujours chez l’autre, chez l’outsider du courage. Par son acte de bravoure et de courage, Gassama nous ouvre la voie à plus d’humanité dans une société française en proie à la défiance, à l’insécurité, la communautarisation et à l’utilisation outrageuse de la religion comme modus operandi pour exclure l’autre. Il ne s’agit pas de régulariser tous les immigrés, il ne s’agit pas de rechercher des Gassama partout en France. Au moins cet acte de ce jeune homme de 22 ans nous laisse un espoir. Notre propre bêtise a une limite : l’espoir et le courage de l’autre humain, c'est-à-dire du muntu au sens africain.