On lit régulièrement des articles de presses sur les dérives des mouvements évangéliques. Parmi ces articles de presses, quelques-uns font mention de nombreuses arnaques traduites par l’extorsion de fonds aux fidèles dont les dirigeants spirituels se rendent régulièrement coupables. D’autres articles évoquent de nombreux cas relatifs à des problèmes de mœurs. Par ailleurs, des témoignages oraux d’anciens membres déçus du comportement peu orthodoxe de plusieurs responsables charismatiques expliquent les raisons de leur désertion du culte charismatique.
Amères qu’ils sont devenus, ils ont claqué la porte de l’Église évangélique du jour au lendemain et crient leur colère.
Dans cette perspective, par exemple, en France, il y a quelques années, un livre collectif intitulé « les naufragés de l’esprit » a rendu compte de nombreuses dérives de ces serviteurs de Dieu particuliers, ainsi que de la grande déception qu’ils ont causée à d’anciens membres, lesquels ont décidé de quitter le groupe spirituel qui leur a pourtant donné beaucoup d’espoir antérieurement.
Dans un récent article, nous avons traité du christianisme évangélique en tant qu’instrument de promotion de la culture américaine. Dans le présent article, nous allons évoquer la singularité des mouvements évangéliques.
De ce fait, il est nécessaire de faire un bref rappel sur ce mouvement chrétien qui intrigue plus d’un, du fait de ses allures quelque peu insolites.
Le mouvement évangélique ou pentecôtisme, un mouvement polysémique
Le mouvement évangélique est connu sous diverses désignations. Tantôt, il est désigné de mouvement de réveil.
Tantôt, il est qualifié de mouvement charismatique. Certains l’évoquent sous le vocable de pentecôtisme. D’autres préfèrent le qualifier de renouveau charismatique. Cependant, quelque soit la qualification retenue, tous les groupes évangéliques appartenant au pentecôtisme conservent des caractéristiques communes. Notamment, les pratiques rituelles sont pareilles d’un groupe à un autre, elles tournent autour de la pneumatologie (le discours sur l’Esprit Saint, à ne pas confondre avec l’industrie automobile).
Tous les Évangéliques revendiquent le baptême du Saint Esprit. De même, les évangéliques dans leur ensemble expriment les mêmes revendications, à savoir, le retour au christianisme originel d’obédience protestante avec la primauté de l’écriture et le respect du sacerdoce universel. Né au 19ème siècle, le pentecôtisme a émergé pour décrier la léthargie spirituelle qui s’emparait de l’église pour la tuer à petit feu, pour plusieurs raisons.
D’abord, le 19ème siècle, c’est le siècle de la révolution industrielle, dominée par une prospérité économique qui a gravement impacté l’église. Particulièrement aux États-Unis, l’église s’est mise à se préoccuper de son luxe, plutôt que de l’annonce de l’Évangile aux croyants et de l’accompagnement des plus vulnérables.
Ensuite, depuis le moyen-âge, la méthodologie de la lecture des saintes écritures reposait sur la théorie des quatre sens de l’écriture : le sens Littéral ou historique, le sens Allégorique, le sens Tropologique, et le sens Anagogique. Selon le sens Littéral, la lettre instruit des faits qui se sont déroulés. D’après le sens Allégorique, l’on apprend ce que l’on a à croire. Quant au sens Tropologique (moral), il permet d’apprendre ce que l’on a, à faire. Et enfin, le sens Anagogique (la finalité) apprend ce vers quoi il faut tendre. Même si avec la Renaissance et la découverte de l’imprimerie, la théorie des quatre sens de l’écriture a connu un recul, avec le temps, elle connaîtra un rebond dans le christianisme protestant et catholique.
Surtout, le sens Littéral de l’Écriture.
Or, au 19ème siècle, avec la naissance de l’École Allemande de Tubingen fondée sur l’exégèse historico-critique, la lecture de la bible a été bouleversée par des théologiens disposant désormais des outils exégétiques assez dangereux qui menaçaient la survie même de l’Église. Avec ces exégètes nouveaux, l’Église devenait trop cérébrale et froide. Elle n’offrait plus au croyant, ce qui réchauffe son cœur. Ainsi naît le pentecôtisme pour ramener l’Église à ses origines, c’est-à-dire aux origines protestantes de l’Église.
Prétention d'un retour aux origines protestantes du Christianisme : le sacerdoce universel et la primauté de la parole.
Les évangéliques prétendent vouloir retourner aux sources du protestantisme.
En effet, la doctrine protestante du sacerdoce universel, « nous sommes tous baptisés, nous sommes tous prêtres. » Il n’en faut pas plus pour que le Pentecôtisme ouvre le ministère pastoral à tous. Les églises traditionnelles qui soumettent le recrutement des ministres de la paroles à des critères très rigoureux voient leurs stratégies de sélection voler en éclat. De surcroît, la formation théologique exigée pour devenir ministre de Dieu dans les églises traditionnelles est supprimée. Seule la vocation suffit, c’est elle qui fait de vous le ministre de la parole.
La primauté de l’Écriture prônée par la doctrine protestante est reprise dans son intégralité par les charismatiques. Seule compte la parole de Dieu, écrite dans la Bible.
La pesanteur des dogmes tombe dans la désuétude, elle devient caduque. Mieux, la primauté de l’écriture au sens propre devient véritablement la primauté de la parole au sens figuré dans le pentecôtisme. Ainsi prospèrent la glossolalie (parlers en langues) et les prophéties selon la prophétie de Joël et le livre des Actes des Apôtres : « Après cela, je répandrai mon esprit sur toute chair; Vos fils et vos filles prophétiseront, Vos vieillards auront des songes, Et vos jeunes gens des visions. » Joël Chapitre 2 Verset 28 ; « Dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair; Vos fils et vos filles prophétiseront, Vos jeunes gens auront des visions, Et vos vieillards auront des songes.
» Actes Chapitre 2 Verset 17.
En promouvant les idéaux protestants du sacerdoce universel,on peut affirmer que le mouvement évangélique promeut la liberté individuelle, autre fondement du protestantisme dans la perspective de John Locke. De même, favoriser le parler en langues et les prophéties comme le fait le pentecôtisme peut s’interpréter comme une promotion de la Liberté d’expression. A ce sujet, la sociologue française Danièle Hervieu-Léger pense que par les prophéties et les parlers en langues, les sans voix de la société retrouvent leur voix dans l’église, ceux qui avaient besoin de reconnaissance sont désormais reconnus, ceux qui ne sont pas écoutés dans la société le sont désormais.
Il n’en demeure pas moins que plusieurs pasteurs des églises pentecôtistes posent des difficultés éthiques à leurs communautés, ils sont à l’origine de nombreux scandales. Par ailleurs, d’après les témoignages d’anciens fidèles, la menace de l’élitisme est tout aussi grande dans l’Église Évangélique que dans les Églises traditionnelles. Autrement dit, le Pentecôtisme est subrepticement retourné à ce qu’il a vomi !
Avec une formation théologique de ses ministres, et une plus grande rigueur morale, les églises évangéliques feraient certainement l’économie des scandales qui les secouent.