Faisant feu de tout bois, Jean-Pierre Denis poursuit sa croisade contre le Crédit Mutuel, dont il veut s’affranchir de la tutelle. Le patron d’Arkéa siège aussi au conseil d’administration de Kering et de Tikehau Capital, où il côtoie François Fillon. Les administrateurs de Kering, déjà montrés du doigt dans une affaire d’évasion fiscale, cautionnent-ils les méthodes de leur homologue ?
M. Denis est un homme très occupé. Le président de la banque Arkéa s’est lancé, depuis plusieurs mois, dans une véritable guerre de tranchées contre le groupe Crédit Mutuel et emploie tous les moyens pour faire sécession et voler de ses propres ailes.
Mais à ces activités et à leurs émoluments faramineux — sa rémunération s’est élevée à 1,6 million d’euros en 2017 —, le patron d'Arkéa ajoute des jetons de présence rétribuant sa participation au conseil de surveillance du groupe Kering, numéro 2 du luxe mondial, et à celui du fonds d’investissement Tikehau Capital.
Qui est vraiment Jean-Pierre Denis ?
Ces deux dernières informations ont été révélées par Laurent Mauduit dans l’édition du 9 mai 2018 de Mediapart. Le journaliste et co-fondateur, avec Edwy Plenel, du pure player, taille dans cet article un costume sur mesure à M. Denis, accusé de préparer en sous-main une dérive capitaliste d’Arkéa, au détriment des valeurs mutualistes sur lesquelles cette — petite — banque, spécialisée dans les FinTech, était originellement fondée.
Mais qui est vraiment Jean-Pierre Denis ? Au-delà de son exorbitante rémunération — il touche plus de deux fois le salaire de Nicolas Théry, patron de la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM) —, c’est le style de management de cet énarque, passé par l’inspection des finances, le secrétariat général de l’Élysée (sous Jacques Chirac) et Vivendi, période Jean-Marie Messier, qui interroge et inquiète.
En dépit des avertissements répétés de la Banque centrale européenne (BCE) et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (APCR), jugeant le départ d’Arkéa du Crédit Mutuel pour le moins aventureux, M. Denis s’obstine. Quitte à faire pression sur les collaborateurs de la banque, en les menaçant de sanctions s’ils ne soutiennent pas ses projets de sécession.
Quitte, également, à organiser un « vote » des caisses locales, en faveur du départ du Crédit Mutuel, entaché d’irrégularités. Le scrutin ne s’est pas déroulé à bulletin secret, et a accouché d’un résultat digne d’une république bananière : 92 % de taux de participation et 94,5 % des voix en faveur de l’indépendance. Un vote non reconnu par la CNCM. Si les méthodes internes de Jean-Pierre Denis interrogent, ses relations avec le monde des affaires remettent aussi en cause les motivations réelles du patron d’Arkéa.
Les administrateurs de Kering soutiennent-ils Jean-Pierre Denis ?
Comme Mediapart l’a révélé, le patron d'Arkéa entretient des relations privilégiées avec les membres du conseil d’administration du groupe Kering, propriété de la famille Pinault.
Administrateur lui-même, il a touché quelque 104 842 euros de jetons de présence au titre de l’année 2016. Il y côtoie donc François-Henri Pinault, Patricia Barbizet, Laurence Boone, Sophie Bouchillou, Yseulys Costes, Sophie L’Hélias, Baudouin Prot, Daniela Riccardi et Sapna Sood, tous membres du conseil d’administration du géant du luxe.
Déjà empêtrés dans une tentaculaire affaire d'évasion fiscale — en janvier dernier, Mediapart révélait que le PDG de Kering, François-Henri Pinault, avait personnellement supervisé un montage financier permettant au patron de Gucci, Marco Bizzari, d’échapper à 15 millions d’euros d’impôts en Italie, et à Kering d’économiser quelque 21 millions de charges —, les administrateurs de Kering voient désormais leurs noms associés à celui de Jean-Pierre Denis.
Et, par ricochet, à celui de... François Fillon. Après sa calamiteuse campagne présidentielle, le candidat de la droite a payé les conséquences du « Pénélope Gate », cette affaire qui a révélé qu’il avait, pendant de nombreuses années, rémunéré son épouse Pénélope en tant qu’assistante parlementaire, sans que celle-ci ne réussisse à démontrer l’effectivité d’un quelconque travail. Définitivement retiré de la vie politique, François Fillon a, depuis, trouvé refuge chez Tikehau Capital, un fonds d’investissement parisien.
Un fonds d’investissement dans lequel il a pu être recruté grâce au patron d'Arkéa, qui siège à son conseil d’administration, explique Laurent Mauduit, selon qui l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy a bénéficié des soutiens de l’ancienne Chiraquie, au premier rang desquels M.
Denis. « Un microcosme très parisien », analyse le journaliste de Mediapart, bien éloigné des valeurs mutualistes que Jean-Pierre Denis prétend défendre.
Les administrateurs de Kering sont-ils au courant des agissements de M. Denis chez Arkéa ? Soutiennent-ils les méthodes de leur homologue ? Assument-ils d’être associés à ce nom sulfureux et, pire, à celui de François Fillon ? Le mystère reste entier.