Dans peu d'années, même si on observe un ralentissement de sa croissance, le PIB de la Chine aura dépassé celui des États-Unis. Le Parti communiste insiste sur l'interdépendance entre les deux puissances et sur le tort que le Congrès américain porterait aux intérêts des Etats-Unis, autant vis-à-vis de ses alliés que de ses propres milieux d'affaires, en entrant dans une rivalité avec la Chine. IIs mettent en avant l'idée d'un « intérêt commun cimenté par des valeurs morales ». D'où l'importance attachée au soft power, illustré notamment par la création d'Instituts Confucius à travers le monde.
L'ascension de la République populaire de Chine au 21e siècle débouchera-t-elle sur un conflit avec les États-Unis ?
Un conflit armé ?
Deng Xaoping avait appelé à une stratégie de prudence dans la politique internationale de la Chine : « Il faut apprendre à traverser la rivière en tâtant les pierres », disait-il. Quant à Henry Kissinger, il observe que la Chine reste pourtant confrontée à d'immenses problèmes : la pauvreté qui, au regard du critère défini par I'ONU (un dollar par jour), frappe encore 150 millions de Chinois et une démographie vieillissante. « Un pays confronté à des tâches intérieures de cette ampleur, pronostique Henry Kissinger, ne va pas se jeter tête baissée, et encore moins de manière automatique, dans un affrontement stratégique ou dans la recherche de la domination mondiale.
» Et il ajoute non sans optimisme que les dirigeants contemporains ne peuvent plus se bercer d'illusions sur le potentiel de destruction des armes modernes.
Concurrence économique
Si la confrontation armée entre les Etats-Unis et la Chine n'est pas inéluctable, la compétition, elle, l'est à l'évidence. La Chine dispose encore de réserves de main-d’œuvre abondantes.
Et elle a su, en trente ans, élever le niveau de formation de son peuple et développer une recherche puissante. De très grandes entreprises d'Etat figurent parmi les toutes premières entreprises mondiales, non pas dans le secteur des biens de consommation, abandonné au privé et aux coentreprises travaillant pour I'exportation, mais dans les secteurs de monopole naturel fortement réglementés par l'État : pétrole (Sinopec), télécommunications (Huaweï, China mobile), électricité, transports, services financiers, etc.
Les atouts de la Chine
La Chine n'hésite pas à subventionner ses entreprises publiques pour orienter son développement. Et si la Commission européenne prétend taxer les panneaux solaires dont la Chine fabrique les trois quarts, Pékin prend aussitôt des mesures de rétorsion forçant le compromis. La Chine excelle dans une stratégie à la fois libérale et dirigiste : un pied dans I'OMC, un autre en dehors. Elle est passée maîtresse dans l'art de diviser ses partenaires qui, du fait de l'immensité de son marché, sont aussi ses otages. Ainsi en va-t-il des pays les plus proches comme des plus lointains, à l'instar des pays membres de l'Union européenne. Le commerce extérieur de la Chine (exports + imports) atteignait 65% de son PIB en 2005, signe d'une extraversion tout à fait étonnante pour un pays de cette taille.
Outre le bas coût de la main-d’œuvre, la sous-évaluation du yuan fait partie des avantages dont jouit la Chine pour attirer chez elle une part toujours croissante de l'appareil productif mondial. Mais il faut aussi reconnaître les capacités de travail et de progrès de la main-d’œuvre chinoise.
Récession ou croissance ?
Un accident est donc toujours possible, mais reste cependant peu probable. Pour la Chine, plus qu'un conflit militaire, le vrai risque est celui d'une récession économique ou d'une crise extérieure bloquant ses approvisionnements, ou encore celui d'une crise intérieure, la Chine ayant toujours été traversée de forces centrifuges, bien que la substantielle classe moyenne chinoise (180 millions de personnes jouissant d'un revenu allant de 40 000 à 1 million de dollars par an) soit fondamentalement conservatrice.
Un monde multipolaire
La question de l'hégémonie au 21e siècle est donc prématurée. La puissance américaine a encore de beaux jours devant elle. D'abord, la Chine aurait avantage à méditer sur les abîmes auxquels peut conduire une montée en puissance aussi peu maîtrisée par ses élites que celle de l'Allemagne impériale d'avant 1914. Le monde n'est pas mûr pour une hégémonie chinoise, parce qu'il ne connaît pas la Chine et que la Chine ne le connaît pas davantage. L'occidentalisation du monde accompagne la globalisation. La transition d'une hégémonie à I'autre ne va pas de soi. Elle n'a été possible au 20e siècle qu'entre peuples de même langue et ayant partagé pendant un siècle et demi une histoire commune, Si on en juge par le nombre des contentieux entre la Chine et les États-Unis, l'idée d'un intérêt commun cimenté par des valeurs morales est encore éloignée. Le monde semble devrait rester multipolaire pour un certain temps.