L'école est en crise, et il convient de la réformer. Mais pour savoir où il faut aller, il faut comprendre d'où l'on vient. Dans quelles circonstances historiques, l'enseignement public, tel que nous le connaissons aujourd'hui, est-il né en France. La vie de Jules Hetzel, l'un des artisans de l'enseignement laïc obligatoire, nous éclaire sur cette naissance, motivée par l'anti-germanisme. Faut-il retrouver ce sentiment patriote, c'est-à-dire cet amour des siens, ce civisme, pour refonder l'école ?

La défaite contre l'Allemagne en 1870-71

Au terme du conflit armé avec l'Allemagne, l'Alsace, dont Jules Hetzel était originaire, a été annexée par l'Empire allemand.

La défaite de la France a donc fait perdre à cet éditeur à succès son territoire d'origine, comme une partie de lui-même. Meurtri par cette défaite militaire de la France contre l'Allemagne en 1870-71, Hetzel avait à cœur de préparer les esprits français aux conflits futurs, notamment avec l'Allemagne, en les formant par la publication d'ouvrages éducatifs et en stimulant le sentiment patriotique. Il a ainsi fondé le Magasin d'éducation et de récréation, la première revue destinée aux jeunes Français. Le but de ce périodique était de fournir “un enseignement de famille”, d'éduquer les jeunes lecteurs tout en les divertissant, de leur permettre d'apprendre tout en s'amusant.

Stimuler la réflexion, vulgariser les savoirs scientifiques

Pour toucher la sensibilité et stimuler la réflexion chez les enfants français, Jules Hetzel a aussi publié des ouvrages destinés à la jeunesse écrits par des romanciers célèbres, tels que Alphonse Daudet et Stendhal, mais aussi des livres de “vulgarisation” scientifique et technique.

La fonction de ces ouvrages de vulgarisation scientifique était de rendre accessibles au grand public les connaissances de l'époque et de permettre à chacun de se faire une opinion éclairée sur les sciences et les techniques de son temps.

Stimuler le sentiment patriotique

Enfin, Jules Hetzel a rédigé un roman, Maroussia, ce récit d'une lutte populaire visant l'indépendance de l'Ukraine, pour encourager les Alsaciens et les Lorrains à entreprendre le même type de combat contre l'occupant allemand.

Pour toutes les élites françaises, la cause du désastre qu'a constitué la défaite de la France contre l'Allemagne a été “l'insuffisante préparation des esprits”, leur manque d'éducation à la fois intellectuel et moral. Etant donné “l'insuffisante préparation des esprits” français, il fallait éduquer ceux-ci par l'enseignement et la diffusion de la culture, mais aussi stimuler le sentiment patriotique, pour que les Français veulent et puissent reprendre à l'Allemagne les territoires annexés. Jules Hetzel, en favorisant l'enseignement gratuit, laïc et obligatoire, a participé au mouvement qui allait conduire en 1880 à la scolarisation, dans toutes les communes de France, de tous les jeunes garçons et filles.

Les vraies fonctions de l'école

Les crises (dont la crise actuelle) de l’école obligatoire montre ce qu'elle a d’irremplaçable. Que se passerait-il si, dans notre civilisation moderne, on supprimait l’obligation scolaire ? Les jeunes seraient livrés à la manipulation et à l’exploitation dans le monde du travail : dans le monde du travail, l’individu est un moyen, alors que ce que l’élève fait à l’école, c’est pour lui qu'il le fait. Mais la fonction de l’école publique ne consiste pas seulement à protéger les enfants contre le monde du travail. Sa fonction positive est d’enseigner un savoir scolaire, qui a cinq caractéristiques. D'abord, il s’agit d’un savoir à long terme, qui pourra servir toute la vie.

Deuxièmement, il s’agit de savoirs organisés, qu'on enseigne selon un ordre logique, dans le cadre d’un programme qui tient compte de prérequis. Troisièmement, il s’agit de savoirs adaptés, mis à la portée des élèves. Quatrièmement, il s’agit de savoirs argumentés, justifiés : nous ne disons pas « prouvés », car ce serait réduire le contenu de l’enseignement aux seules sciences exactes. Enfin, il s’agit de savoirs désintéressés, c'est-à-dire enseignés sans fin professionnelle ni autre que l’élève même. On n’enseigne pas à l’enfant pour que telle tâche professionnelle soit accomplie. A l’école, l’élève est traité comme une fin, c’est pour lui qu'on enseigne, pour qu'il soit autonome. L’école trahit souvent ses fonctions.

Le savoir scolaire n’est pas toujours enseigné comme il le devrait : c'est ce qu'on appelle une crise de l'école publique. Mais le fait même qu'on reproche à l’école de ne pas remplir ses fonctions montre qu'on lui attribue bien ces fonctions.

Des valeurs universelles

On pourrait nous reprocher d’avoir exclu du savoir scolaire toute éducation morale, et notamment le patriotisme cher à Jules Hetzel. Mais l’école assure une formation morale spécifique. Par exemple, elle enseigne des valeurs qu'on ne trouve pas dans la famille, ni sans doute dans le monde du travail : l’égalité, la justice, l’effort, l’esprit critique. L’école « enseigne » ces valeurs, non en donnant des cours de morale, mais en étant elle-même. Le patriotisme peut être un moteur et une fin de l'enseignement, mais ce sont des valeurs plus universelles qui se dessinent derrière le projet de l'enseignement public.