Je lisais récemment un article du Figaro sur la « médecine de demain » (publié le 19/10/2018). On peut notamment y lire une prédiction du PDG de la la start-up Nanobiotix, Laurent Lévy : « Grâce aux nanoparticules, on pourra aussi modifier la combustion électrique du cerveau et réparer les cellules de personnes atteintes de maladies neurodégénératives ». Cet aspect modificateur des pratiques médicales me semble illustrer un changement de paradigme de la médecine.
Le transhumanisme
Depuis les temps les plus reculés, la médecine reposait sur une idée simple, un modèle bien éprouvé : « réparer » dans le vivant ce qui avait été « abîmé » par la maladie.
Son cadre de pensée était essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, thérapeutique. Dans l’Antiquité grecque, par exemple, le médecin était censé viser la santé, c’est-à-dire l’harmonie du corps biologique comme le juge celle du corps social. On cherchait le retour à l’ordre après le désordre, la restauration de l’harmonie après l’apparition de la maladie, biologique ou sociale, causée par des agents pathogènes ou des criminels. On naviguait entre deux limites bien balisées, celles du normal d’un côté, et du pathologique de l’autre. Pour les tenants du mouvement transhumaniste, ce paradigme est désormais obsolète, dépassé et dépassable, en particulier grâce à la convergence de quatre nouvelles technologies (les NBIC) : nanotechnologies, biotechnologies, informatique (big data, Internet des objets) et cognitivisme (intelligence artificielle et robotique) – innovations aussi radicales qu’ultrarapides, qui vont probablement faire changer la médecine et l’économie davantage dans les quarante ans qui viennent que dans les quatre mille ans qui précèdent, auxquelles on peut ajouter, comme je viens de le suggérer, les nouvelles techniques d’hybridation ainsi que l’invention des imprimantes 3D dont les usages divers, notamment médicaux, se développent eux aussi de manière exponentielle.
Améliorer l’humain
Les NBIC donc permettent désormais d’envisager les professions de santé sous un angle neuf. Il ne s’agit plus simplement de « réparer », mais bel et bien « d’améliorer » l’humain, de travailler à ce que les transhumanistes appellent son improvement ou son enhancement, son « augmentation » – au sens où l’on parle d’une « réalité augmentée » quand on évoque ces systèmes informatiques qui permettent de superposer des images virtuelles aux images réelles : vous braquez l’appareil photo logé dans votre smartphone sur un monument dans la ville que vous visitez, et vous voyez apparaître aussitôt sur l’écran des informations comme sa date de création, le nom de son architecte, sa destination initiale ou actuelle, etc.
Il s’agit donc d’une véritable révolution dans le monde de la biologie et de la médecine – mais elle touche à vrai dire toutes les dimensions de la vie humaine, à commencer par l’économie collaborative, celle qui sous-tend des entreprises telles que Uber, Airbnb ou BlaBlaCar, pour ne citer que les plus populaires en France.
Enjoliver le corps
Les transhumanistes ont d’ailleurs beau jeu de souligner que, depuis des années déjà, ce bouleversement de perspectives était en marche sans qu’on s’en aperçoive et y réfléchisse vraiment. La chirurgie esthétique, par exemple, s’est développée tout au long du siècle dernier dans le but, non de soigner, mais bel et bien d’améliorer, en l’occurrence « d’enjoliver » le corps humain. Car la laideur, que l’on sache, n’est pas une maladie, et un physique disgracieux, quelle que soit la définition qu’on en donne, n’a rien d’une pathologie (bien qu’il puisse parfois en être l’effet). Même chose pour le Viagra et autres drogues « fortifiantes » qui visent, elles aussi, cela dit sans mauvais jeu de mots, à quelque « augmentation » de l’organisme humain.
Quelques questions éthiques
Faut-il se réjouir ou s'inquiéter de cette évolution du médical ? A première vue, il semble qu'on doive se réjouir devant la perspective d'une chirurgie génétique qui permettrait de réparer des gènes défectueux dans l’embryon. Mais, en même temps, il serait bien difficile de ne pas s’opposer aux dérives eugénistes que ces nouvelles technologies autorisent. Sur ces questions éthiques, le véritable ennemi de la pensée est le simplisme. Parler du « cauchemar transhumaniste » est aussi exagéré que de parler d’une félicité ou d’un salut transhumanistes. Tout est ici question de nuances ou, pour mieux dire, de limites, de distinctions entre science et idéologie, entre thérapeutique, augmentation et, même, entre thérapeutique classique et « augmentation thérapeutique ».
Au fond, tout revient en dernière instance à une même question : s’agit-il de rendre l’humain plus humain – ou pour mieux dire, meilleur parce que plus humain –, ou veut-on au contraire le déshumaniser, voire engendrer artificiellement une nouvelle espèce, celle des posthumains ?