Depuis 6 mois, le monde a vu sa population se décimer assez brutalement et nous comptabilisons plus de 750.000 personnes disparues à cause du Covid-19. Aujourd’hui, les scientifiques disposent de plus de recul face à la maladie et les hôpitaux de France semblent plus prêts à affronter cette éventuelle deuxième vague. Mais dans les faits, toujours aucune solution médicamenteuse ou vaccinale n'a été découverte. Les populations déconfinées restent alors parfois dans un trouble confus, dans une attente et une incompréhension la plus totale. La contradiction majeure reste probablement celle qui concerne le port du masque, qui fait débat dans le monde entier.

À compter du 1er septembre, le masque sera obligatoire en extérieur, imposé de façon totale ou partielle dans environ 12.000 communes, dans les collèges et les lycées.

Un monde masqué : pour ou contre ?

Les Allemands ont manifesté contre la rigueur des mesures sanitaires du gouvernement d’Angela Merkel, les Américains se sont eux montrés violents contre le port du masque entre théories du complot soutenues par leur président Trump et une précarité sans précédent. Les Français ont également eu leur lot de faits-divers liés à cette protection. Dans le pays d’Emmanuel Macron, une agression fatale a même eu lieu au début de l’été dans la ville de Bayonne où un chauffeur de bus, Philippe Monguillot, a été tué de sang-froid pour avoir refusé l’accès à un passager non-masqué.

Dans une laverie du Val-d’Oise, le 2 août dernier, un homme a été passé à tabac pour avoir demandé à ses agresseurs de porter un masque. Dix jours plus tard, c’est au tour d’une infirmière du Val-de-Marne de se faire violemment frappée par trois adolescents, pour la même raison. Dernier exemple en date le 17 août, lorsqu'une personne handicapée en chaise roulante se voit refuser l'entrée dans un café sous prétexte que son chien accompagnateur n'était pas accepté pas les patrons du lieu, un cas d'une extrême violence verbale qui a ému plus de 2 millions d'internautes qui ont partagé la vidéo sur les réseaux sociaux.

Le virus rend-t-il violent ?

Comment expliquer ces coups de colère à répétition ? Ces actes de frénésie ont-ils un rapport avec la crise inédite du Covid-19 ? Fanny Bauer-Motti, Docteure en psychologie clinique et psychopathologique, basée à Londres, nous apporte ses éclairages sur la question.

Bien que ces faits soient effectivement des phénomènes isolés, Émile Durkheim évoquait déjà à la fin du XIXe siècle ces sociétés qui perdaient leurs repères et leurs règles lors d’un drame. Dans sa pensée, le sociologue expliquait que lorsque les individus ne pouvaient plus se reposer sur leurs croyances politiques, religieuses et scientifiques, il pouvait naitre dans la société une augmentation des violences voire des suicides. Est-on actuellement dans ce phénomène de société en perte de repères décrit par Emile Durkheim ?

Oui, je ne l’attribue pas uniquement au Coronavirus. Plutôt à un mélange de phénomènes sociaux et politiques en amont depuis quelques années qui a créé une perte de confiance en les institutions, le monde politique, les médias...

ce qui rassurait jadis aujourd’hui insécurise. La perte de repères qui peut subvenir après un drame n’est pas uniquement liée à un événement à un instant T, mais aussi aux situations dramatiques qui peuvent s’installer, sur le temps, dans la société. Les flous et certaines erreurs de communication ont créé un climat profondément anxiogène, un véritable accélérateur de peur, de panique et d’angoisse. On ne peut pas en sortir indemne. Dépression, suicide, violence, agressivité…tous ces maux des Hommes sont effectivement accrus quand les repères sociaux ne sont plus accessibles.

L’Homme a besoin de croire en quelque chose pour se sentir en sécurité. En l’état, en ses institutions, en lui, en sa religion… si plus aucun repère ne tient, il peut alors y avoir des effondrements.

Ce pourquoi il faut aujourd’hui prendre le temps de reconstruire le sentiment de confiance dans notre société. Si autant de personnes doutent de l’utilisation du masque, c’est qu’il y a un problème de fond de confiance entre le citoyen et son gouvernement. Et c’est normal. Il y a eu trop d’informations contradictoires pour qu’on puisse les yeux fermés suivre une directive sans la questionner dans un sens ou dans un autre. Entre ceux qui ont peur face à celui qui ne porte pas de masque et celui qui se sent agressé par le port du masque il y a un point commun : l’angoisse.

Derrière l’agressivité ne se cacherait-il pas une forme de frustration liée à l’isolement, à la précarité et à cette situation particulièrement trouble ?

C’est possible dans certains cas. Cela dit dans les cas d’extrême violence comme l’agression du chauffeur de bus Philippe Monguillot, il s’agit en mon sens d’une violence qui n’a pas besoin de déclencheur. Une violence inhérente à celui qui la commet et le besoin d’être soigné. La violence n’est jamais un hasard, elle est à analysé au cas par cas.

Cette injonction du port du masque est-elle finalement acceptable pour l’humain de 2020 en constante quête de liberté ?

Le port du masque change le visage de notre société. Se sourire, s’entendre, se voir, se reconnaitre…tout devient plus compliqué. Ce qui allait de soit hier a été remis en question aujourd’hui. En même temps, le coronavirus a été révélateur des problématiques sanitaires et sociaux de notre pays.

Le port du masque n’est pas qu’une injonction, c’est aussi une conséquence de choix qui ont amené notre pays à devoir guérir à défaut d’avoir été prévenu. Au même titre que porter sa ceinture en voiture, pour sa protection aujourd’hui il faut porter un masque, toujours pour sa protection.

La nuance entre liberté et vie en collectivité est très fine. L’obligation du port du masque est peut-être une contrainte individuelle, mais c’est un besoin collectif pour sécuriser une société en souffrance ou en danger.

Une autre conséquence liée à ce virus, la hausse des violences conjugales. Elles sont évaluées à 30% supplémentaires, avec des signalements toujours plus inquiétants. Le confinement rend-t-il plus violent selon vous ?

Concernant les violences conjugales précisément, je ne suis pas sûre que le coronavirus rende plus violent. Celui qui porte ce type de violences en lui est dans une problématique psychologique parfois psychiatrique qui dépend plus de son intérieur que du contexte extérieur. Celui qui devient violent par le confinement portait déjà cette violence en lui, cela dit, le confinement a profondément isolé des foyers et c’est là où le danger demeure.

Certaines et parfois certains, car il ne faut oublier que les hommes aussi peuvent être victimes de violence tant psychologique que physique, se sont retrouvés coincés avec leur bourreau sans possibilité d’aide extérieur. Le confinement est un révélateur de névrose, de crise intérieure, un accélérateur de dépression parfois…et surtout une porte fermée sur son foyer ou sa maison.

Cette solitude est dangereuse lorsque l’un des membres du foyer est lui-même ‘dangereux’.

Le nouveau coronavirus est un traumatisme évident. Face à la stabilité et la maitrise du virus aujourd’hui, les conséquences psychologiques ne doivent-elles pas être désormais prises en compte par les écoles qui vont bien rouvrir ou les politiques publiques pour éviter d’entretenir ce climat anxiogène au sein de leurs populations ?

Oui tout à fait. Il y a un avant et un après-coronavirus évident. Qui pour certains sera traumatique pour d’autres laissera une trace psychique mais il est certain que cela change globalement le rapport au monde, à soi et aux autres.

Les petits par exemple qui commencent la maternelle sans pouvoir jouer aux jeux collectifs apprennent une autre forme de collectivité, de lien social, qui les marquera, pas forcément en négatif mais cela fera partie de leur construction identitaire et sociale.

Ce qui changera d’un enfant à un autre, c’est la mise en mots et la manière dont les adultes entourant auront expliqué la situation. Il est temps de dire aux enfants qu’en respectant les gestes barrières, ils sont en total sécurité. Il en va de même pour les adultes qui ont baigné dans des médias extrêmement alarmistes parfois avec peu d’apports extérieurs et une impression que le monde s’effondre. Aujourd’hui la situation est maitrisée, le monde reprend son souffle, et les êtres humains ont besoin de retrouver des repères et une confiance en notre capacité, en tant qu’état et société à gérer un drame humain, à y apprendre de leurs erreurs et à se relever.